31 % d’hommes dans le monde seraient porteurs de l’une des quelque 200 formes de papillomavirus, et 21 % d’une forme «à haut risque», potentiellement cancérigène. Cette conclusion d’une étude parue dans la revue The Lancet Global Health illustre l’enjeu de santé publique majeur autour des hommes et du «HPV» (pour «Human Papillomavirus»), pour espérer parvenir à la réduction drastique, sinon l’éradication, de maladies comme le cancer du col de l’utérus. En effet, si environ trois quarts des cancers liés aux papillomavirus touchent les femmes, la proportion d’hommes porteurs du virus reste un vecteur de propagation inquiétant. Pour Nathalie Broutet, co-autrice de l’étude et qui était jusqu’à récemment responsable du programme pour l’élimination du cancer du col de l’utérus à l’Organisation mondiale de la santé, ces résultats soulignent l’importance d’intégrer le public masculin dans les stratégies globales de prévention et de vaccination. Libération fait le point sur ce dossier.
Le papillomavirus, première IST de France
Le papillomavirus humain appartient à une famille de virus extrêmement contagieuse, regroupant près de 200 formes distinctes, dont une douzaine considérée comme à «haut risque». Touchant près de 80 % des personnes au moins une fois au cours de leur vie, sans distinction de sexe ou d’orientation sexuelle, il s’agit de l’infection sexuellement transmissible (IST) la plus fréquente en France. Mais attention, toutes les infections du papillomavirus ne relèvent pas d’une IST : seule une quarantaine de formes des «HPV» se transmettent par contact sexuel.
Le papillomavirus est «un virus essentiellement transmis sexuellement, mais sans qu’il y ait besoin de rapport pénétrant», alerte Nathalie Broutet. Comme c’est par la peau ou les muqueuses que le virus est transmis, le préservatif ne suffit pas à protéger. Toutefois, l’autrice de l’étude rappelle la nécessité de son usage, qui évite notamment «des dépôts sur le col de l’utérus».
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Si la grande majorité des hommes contaminés restent asymptomatiques, et qu’ils développent moins de cancers que les femmes – les hommes ne représentent que 25 % des cancers liés au HPV –, ils font figure de «réservoir» à infection, souligne Nathalie Broutet, continuant d’être vecteurs du virus sans forcément se savoir contagieux. Et ce jusqu’à un âge avancé. C’est là l’une des découvertes de l’étude : si les infections sont fortes chez les femmes au début de leur vie sexuelle et diminuent globalement avec l’âge, elles restent nombreuses chez les hommes jusqu’à leurs 50 ans. Pour Nathalie Broutet, «si on veut achever l’élimination avant la fin du siècle du cancer du col de l’utérus chez les femmes, il faut étudier ce qui se passe chez les hommes, mais aussi les vacciner».
Le papillomavirus responsable de 6 000 nouveaux cancers chaque année en France
En cas de transmission, les infections, souvent asymptomatiques, «s’éliminent naturellement la plupart du temps», explique Nathalie Broutet. Néanmoins, une infection peut causer deux types de lésions : les bénignes, et les précancéreuses. Les lésions bénignes, comme les verrues ano-génitales (aussi appelées condylomes), touchent environ 50 000 femmes et 50 000 hommes chaque année. D’autres lésions, précancéreuses, peuvent survenir. 30 000 femmes souffrent chaque année de telles lésions du col de l’utérus, et moins de 3 000 de la vulve, du vagin ou de l’anus. Plus grave, le papillomavirus peut aussi évoluer en véritable cancer, touchant le col de l’utérus, l’anus, le pénis, la vulve ou l’oropharynx (amygdales, palais, arrière de la langue et de la gorge). Au total, selon les données de la Haute autorité de santé en France, plus de 6 000 nouveaux cancers par an dans l’Hexagone résultent d’une infection au papillomavirus.
Environ 99 % des cancers du col de l’utérus sont causés par une infection à HPV. Chez la femme, c’est le 11e cancer le plus fréquent (3 000 nouveaux cas chaque année), et le 12e le plus meurtrier (plus de 1 000 décès par an). Le cancer de l’anus, dont 90 % des cas sont liés au papillomavirus, touche environ 2 000 personnes en France chaque année, dont 75 % de femmes. Si ce cancer ne touche que 25 % d’hommes, ceux ayant des relations homosexuelles sont surreprésentés dans la population atteinte. Les cancers de l’oropharynx touchent eux majoritairement les hommes (en 2015, 1 300 cas chez des hommes, 400 chez des femmes). Plus rares, on retrouve également les cancers du pénis (100 cas dus au papillomavirus en 2015), et de la vulve et du vagin (200 cas en 2015).
Peut-on traiter le papillomavirus ?
Puisqu’il n’existe pas de traitement pour l’infection en tant que telle, seulement pour ses conséquences (verrues, lésions précancéreuses, cancers…), et que le préservatif ne suffit pas, seule la vaccination, couplée ensuite à un dépistage régulier, permet de limiter les risques d’infection à haut risque. En France, il est possible d’avoir une vaccination à deux doses lorsque la première injection est administrée entre 11 et 14 ans, ou à trois doses lorsque la première dose est réalisée entre 15 et 19 ans. Les hommes ayant des relations homosexuelles peuvent bénéficier d’une vaccination jusqu’à leurs 26 ans. La vaccination (facultative), dont le prix avoisine les 100 euros, est remboursée à 65 % par l’Assurance maladie, le reste pouvant être pris en charge par les mutuelles. La vaccination peut également être gratuite dans certains lieux, comme les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic.
Si toute la population pourrait en théorie se faire vacciner à n’importe quel âge, l’efficacité du vaccin diminue après les premières relations sexuelles. De plus, «le vaccin reste encore assez cher, sa production est longue et compliquée, explique Nathalie Broutet. Il y a déjà eu des manques de vaccins pour la population ciblée dans plusieurs pays, il faut donc prioriser, c’est aussi une question de coût efficacité.» C’est pourquoi après l’âge recommandé (19 ans pour les femmes, 26 ans au maximum pour les hommes), la vaccination reste possible, mais n’est plus remboursée.
A l’âge adulte, les dépistages permettent aussi de mettre en évidence les conséquences d’une infection : verrues, pré-cancers, cancers. Dans la majorité des cas, les personnes redeviennent HPV négatives une fois la lésion traitée, et le risque de transmettre l’infection redevient faible. De toute manière, rappelle Nathalie Broutet, «même si un partenaire contamine par exemple une femme, il faut environ quinze, vingt ans pour qu’un cancer du col se développe, et cette femme se fera dépister dès l’âge de 25 ans», permettant ainsi de se faire traiter si des lésions précancéreuses étaient décelées.
Pour prévenir le développement d’un cancer de l’utérus, deux tests sont disponibles en France : l’examen cytologique (entre 25 et 29 ans), et le test HPV HR (à partir de 30 ans), réalisables via un frottis. Les deux sont remboursés intégralement par l’Assurance maladie. Chez les hommes, le dépistage systématique n’est proposé qu’à ceux ayant des relations homosexuelles. En cas de doute, les patients peuvent toutefois consulter des spécialistes pour réaliser des examens de l’anus, de la gorge ou du pénis pour détecter des lésions.
La France tente de rattraper son retard sur la vaccination
Si la vaccination est recommandée en France depuis 2007 pour les jeunes filles, elle ne l’est pour les jeunes garçons que depuis 2021. Cette différence explique que fin 2021, les filles de 15 ans étaient 45,8 %, selon l’Inserm, à avoir reçu au moins une dose du vaccin, contre à peine 6 % pour les jeunes garçons. «Vacciner les jeunes hommes, c’est améliorer l’acceptabilité du vaccin pour les jeunes filles» tout en protégeant les uns des lésions, et les autres des cancers, analyse Nathalie Broutet. La France a en effet l’une des couvertures vaccinales les plus faibles des pays industrialisés.
Dans un communiqué en faveur de la vaccination contre le papillomavirus, l’Académie nationale de médecine relate qu’en 2020, alors que la couverture vaccinale ne dépassait pas les 30 % en France (très majoritairement des femmes), elle était de plus de 75 % dans une dizaine de pays européens comme le Portugal, l’Espagne ou le Royaume-Uni. L’Australie, modèle de la lutte contre le papillomavirus, devrait faire disparaître le cancer du col de l’utérus d’ici 2035 grâce à une vaste compagne de vaccination débutée en 2007 pour les filles, et 2013 pour les garçons.
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Si la France a du retard, l’Etat se fixe des objectifs pour améliorer sa couverture vaccinale. La stratégie nationale de santé sexuelle prévoyait 60 % d’adolescentes vaccinées cette année, et 80 % en 2030. En février, Emmanuel Macron a annoncé une campagne de vaccination «généralisée» des collégiens en classe de 5e dès la rentrée 2023. Cette vaccination, qui reste facultative et avec consentement parental, sera gratuite et toutes les doses seront administrées sur le lieu scolaire.
Mise à jour le 2 octobre à l’occasion du lancement de la campagne de vaccination dans les collèges de France.