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Libération
Inquiétudes

Partage de transport sanitaire : le projet de décret prévoit 45 minutes d’attente maximum, le reste du texte inchangé

La nouvelle version du texte, consultée par «Libération», précise désormais le délai d’attente sur le lieu de soins. Aucune distinction n’est faite pour exempter automatiquement les patients les plus fragiles et leur permettre de refuser de partager leur transport sans incidence.
Un transport de patient à Briançon, fin 2023. (Thibaut Durand/Hans Lucas. AFP)
publié le 20 novembre 2024 à 15h49
(mis à jour le 20 novembre 2024 à 18h41)

Les inquiétudes des associations n’auront pas changé grand-chose. Pour rejoindre ou repartir de l’hôpital, les patients vont devoir partager leur ambulance, taxi ou transport sanitaire léger : le principe avait d’ores et déjà été voté l’année dernière dans le budget de la Sécu 2024, il ne manque plus que soit signé le décret pour qu’il soit appliqué. Mais le sujet étant sensible, les modalités devaient être précisées : une première version a été dévoilée dans la presse en mai dernier. Elle prévoyait notamment un détour de 10 kilomètres possible par passager (30 maximum) et ne différenciait ni les patients les plus fragiles, ni les personnes immunodéprimées. Inquiétudes et colères de la part des concernés et leurs représentants. La nouvelle version présentée par le ministère, révélée par Franceinfo et que Libération s’est procurée, ne change aucun de ces points. La seule modification se trouve dans le temps que devront attendre les patients sur leur lieu de soins : le «délai raisonnable» a été modifié en «quarante-cinq minutes maximum au total».

«On met en danger la vie de ces patients», s’indigne Bruno Lamothe, de Renaloo, association qui défend les droits de malades du rein. Car malgré les inquiétudes formulées par les représentants de patients il y a quelques mois, il ne peut que constater que la copie a été révisée à la marge. «Aucune association n’a été concertée», déplore-t-il. Ainsi le texte ne donne aucune exemption automatique pour les patients les plus fragiles, comme les personnes immunodéprimées – quand bien même le ministre délégué à la Santé de l’époque, Frédéric Valletoux, avait certifié qu’ils ne seraient pas concernés. Il ne fait pas non plus mention de précautions particulières qui seraient prises pour limiter les risques, comme l’obligation de port du masque et des gestes barrières. «Mettre trois personnes dans un taxi, collées les unes aux autres, c’est un risque de transmission de maladies», continue le responsable.

Avance de frais en cas de refus

Pour justifier la généralisation de cette mesure, le gouvernement a fait valoir que «les transports partagés ont permis de réduire de 34 millions d’euros les dépenses de l’Assurance maladie» sur l’année 2022, tout en «améliorant la réponse aux besoins de transports en permettant, de fait, une augmentation de l’offre à nombre de véhicules constants.» Dans les faits, certains patients se voient déjà proposer de partager un transport sanitaire. Mais ils peuvent en théorie le refuser sans que cela n’affecte la prise en charge du trajet par la Sécu. Avec ce décret, ce ne sera plus le cas : celui ou celle qui refusera le partage ne pourrait plus bénéficier du tiers payant, devrait donc avancer les frais et serait moins remboursé. Pour obtenir un transport individuel remboursé, leur médecin devra spécifier sur l’ordonnance que l’état de leur patient est incompatible avec un transport partagé. «Il y a déjà une certaine pression sur les médecins pour leurs prescriptions de transports», souligne Féreuze Azziza, de France Assos Santé, qui craint que les soignants ne soient incités à privilégier le partage de véhicule sanitaire. La principale fédération des associations d’usagers de la santé confirme à Libération qu’elle n’a pas non plus été consultée pour cette deuxième version du texte, contrairement à la première.

Le temps d’attente est un autre point de préoccupation. Certes, la nouvelle version du texte est un peu plus claire en précisant que les concernés devraient patienter au plus trois quart d’heure avant de rentrer dans leur taxi – si tant est que ce puisse être respecté. Un temps d’attente qui s’écoule souvent dans les couloirs ou le parking de l’hôpital, potentiellement inconfortable selon l’état de santé du patient, et s’ajoute à celui passé dans le transport sanitaire, de fait rallongé. Ce que reconnaît le projet de loi, puisqu’il limite les détours à dix kilomètres par patient (pour maximum 30 kilomètres au total). Mais sans mentionner de durée maximale. «30 kilomètres en passant par Paris en heure de pointe, ce n’est pas la même chose que sur une route en pleine campagne. Les délais peuvent être énormément rallongés, ça n’est pas acceptable pour des personnes très fatiguées», insiste la responsable de France Assos Santé. «Pour la dialyse, par exemple, le traitement dure plus de quatre heures. Si on vous rajoute quarante-cinq minutes d’attente, en plus d’un trajet rallongé avec des détours, ça signifie que votre journée est consacrée au traitement. Et pour les personnes dialysées, c’est trois fois par semaine», pointe Bruno Lamothe.

La mesure inquiète d’autant plus qu’elle s’inscrit dans un paysage des transports sanitaires déjà largement dégradé. Les représentants des transports sanitaires eux-mêmes dénoncent la faiblesse de leurs moyens et reconnaissent des délais d’attente rallongés. Les patients en sont déjà affectés. «Certaines personnes nous rapportent attendre plus d’1h30 sur un parking le temps que leur taxi arrive, d’autres n’en trouvent plus et doivent revenir en bus ou en métro, avec les risques que ça comporte», soupire Bruno Lamothe. Féreuze Aziza cite pour sa part des retards dans les rendez-vous, des aidants qui ne peuvent pas toujours accompagner leur proche dépendant. Elle se souvient aussi de cette femme sortie d’intervention chirurgicale, qui a vu son temps de retour chez elle rallongé de deux heures, entre le délai d’attente et les détours pour déposer les autres patients. «Ses antidouleurs ne faisaient plus effet, elle s’est retrouvée en souffrance, coincée dans son transport. C’est bien beau de vouloir pénaliser les patients, mais il faudrait avant tout mener une évaluation sur la qualité du transport partagé, qui se fait déjà.»

Contacté par Libération, le ministère de la Santé n’a pour le moment pas donné suite. Avant qu’il ne soit signé, le projet de décret devrait être présenté en décembre devant une commission de la Caisse nationale d’assurance maladie, puis le conseil de l’union nationale des caisses d’assurance maladie.

Mise à jour avec les déclarations de France Assos Santé.