Partout en France, la plupart des croix vertes resteront éteintes ce jeudi 30 mai. Pour la première fois depuis dix ans, à l’appel de leurs deux syndicats représentatifs, les pharmaciens vont fermer le rideau en pleine semaine. Des manifestations sont prévues partout en France en début de journée, avant que les banderoles ne se joignent en un seul cortège parisien l’après-midi.
Pharmacies réquisitionnées pour les urgences
Le suivi de la grève s’annonce massif : 90 % des pharmacies ont prévu de rallier le mouvement, selon les syndicats. Il est donc fortement probable de se retrouver face aux portes closes de son officine de quartier ce jour-ci. «Un service pharmaceutique minimum» sera assuré par quelques officines pour les urgences, assure par exemple l’Agence régionale de Santé d’Ile-de-France, qui a publié la liste des pharmacies réquisitionnées sur son site. La plupart des autres ARS (Bretagne, Auvergne-Rhône-Alpes, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Guyane…) ont fait de même. «Devant n’importe quelle pharmacie des affiches indiqueront lesquelles sont réquisitionnées, précise Philippe Besset, à la tête de la Fédération des syndicats pharmaceutique de France (FSPF). Ces officines-là seront fermées mais des pharmaciens seront à l’intérieur et pourront accueillir le public qui a une urgence.»
Finances dans le rouge
C’est un pêle-mêle d’inquiétudes qui a fait déborder la colère. Avec en première ligne les difficultés économiques qui percutent de nombreuses officines. Sur les quelque 20 000 réparties sur tout le territoire, 2 000 ont dû baisser définitivement le rideau en dix ans. 100 sur les trois premiers mois de 2024. «Toutes les pharmacies souffrent, les petites, les grosses, et pas uniquement dans les zones rurales, déplore Pierre-Olivier Variot, patron de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Récemment, un pharmacien situé en plein centre-ville de Chartres a dû fermer, il ne pouvait plus faire face aux charges.» Depuis Bécon-les-Granits, près d’Angers, Vincent Nadeau témoigne des mêmes difficultés : «Ca fait des années que je n’avais pas connu une trésorerie aussi tendue. Beaucoup de pharmacies sont dans le rouge, demandent des délais de paiement à leurs fournisseurs».
Car les charges des officines sont en constante augmentation, entre la flambée des prix de l’énergie et les frais de personnel. Les honoraires ne suivent pas - ils comprennent notamment le montant fixe perçu sur chaque boîte vendue, auxquels peuvent s’ajouter ceux liés à des actes de vaccination par exemple. « Entre 2019 et 2023, ils ont augmenté de 7 %, l’inflation générale de 13,9 % et les charges en pharmacie de 25 %, égrène Pierre-Olivier Variot, les données de la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam) sous les yeux. On nous propose une hausse de 15 %, alors que l’inflation de nos charges est prévue à 35 %. On ne pourra pas trouver un équilibre.»
Pénuries de médicaments
Aux questions financières s’ajoutent celles sur les médicaments. Les pharmaciens voient aussi leur mouvement comme une énième interpellation sur les pénuries qui n’ont fait que s’aggraver ces dernières années. Près de 5000 signalements de ruptures de stock ou de risque de rupture ont été enregistrés par l’Agence nationale du médicament en 2023, contre environ 2000 deux ans plus tôt. Une source d’angoisses pour les patients - les tensions touchent les antibiotiques comme les antidiabétiques ou les hypertenseurs. Et une charge de travail accrue pour leurs pharmaciens qui s’échinent à trouver des alternatives, se coordonnent entre confrères pour obtenir les boîtes qu’il leur faut. « Les passages de commandes, recherches de solutions nous prennent environ quatre heures tous les jours », soupire Vincent Nadeau.
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Les rumeurs d’un mouvement de dérégulation qui favoriserait la vente en ligne attise aussi les inquiétudes. «Des pharmacies vendent déjà sur internet, mais nous craignons un projet qui entraînerait la création de grandes structures, qui mettraient à mal le modèle de pharmacies de proximité», explique Philippe Besset. De quoi, craignent les professionnels, engendrer une concurrence déloyale et des risques pour la santé des patients.
Négociations avec l’Assurance maladie le 5 juin
«Il s’agit d’un mouvement d’interpellation, de l’Assurance maladie pour nos honoraires, du gouvernement pour clarifier la dérégulation.», poursuit le pharmacien. La mobilisation survient quelques jours avant la réunion, prévue le 5 juin, avec l’Assurance maladie destinée à conclure les négociations conventionnelles. Discussions entamées en décembre, qui viseront entre autres à fixer leurs honoraires. Le syndicaliste admet, comme son confrère de l’USPO, que leur mouvement se poursuivra selon ce qu’ils obtiendront.
Sur le terrain, loin des salles de négociations, le ras-le-bol est bien palpable. «Autour de moi, je vois de la colère, mais surtout de la tristesse, lâche Vincent Nadeau depuis son comptoir du Maine-et-Loire. Pendant le Covid, nous avons été très sollicités, on s’est donnés corps et âmes - parfois jusqu’à l’épuisement. Sur le moment, nous avions une reconnaissance. Maintenant, on a l’impression que, face à nos difficultés, nos tutelles nous abandonnent.»