Chaque hiver, en dépit des promesses gouvernementales, le même drame se répète : des corps de personnes sans abri retrouvés sur les trottoirs. La vague de froid ces derniers jours ne fait malheureusement pas exception. Le 16 janvier, un homme a été découvert mort en pleine rue au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne). Un autre quatre jours plus tard à Poissy (Yvelines), alors qu’il dormait dans sa voiture pour tenter d’échapper au froid. Et il ne s’agit là que de ceux qui ont été médiatisés. Puis, dimanche 21 janvier, un homme sans-abri a été découvert en hypothermie sévère par une patrouille de police, à Créteil (Val-de-Marne). S’il a survécu et est sorti de l’hôpital ce mardi matin, le parquet de Créteil a ouvert une enquête pour «non-assistance à personne en danger», car l’homme aurait tenté d’appeler le Samu pour demander de l’aide, en vain.
La pénurie d’hébergement d’urgence est dénoncée depuis des années par les travailleurs sociaux et les associations. Mais elle se fait encore plus cruellement sentir lorsque les températures sont glaciales. Christophe Prudhomme, médecin urgentiste au Samu en Seine-Saint-Denis depuis presque quarante ans et responsable à la fédération CGT de la santé et action sociale, décrypte auprès de Libération les difficultés rencontrées par le Samu et le manque de moyens global qui «provoque des morts».
Comment expliquer ces défaillances de prise en charge des sans-abri ?
Plusieurs problèmes se conjuguent. Le 115, qui est censé réceptionner les appels de personnes sans-abri et tenter de leur trouver un hébergement, atteint ses limites. La ligne est surchargée, les financements manquent et il n’y a pas assez de places d’hébergement, en particulier l’hiver.
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Le Samu arrive en bout de chaîne : on reçoit un appel d’une personne à la rue, qui est dehors dans le froid parce qu’elle n’a pas pu être hébergée. Puisqu’on ne nous donne pas les moyens de loger les sans-abri, que peut-on faire pour les aider à passer une nuit au chaud ? On les envoie parfois dans la salle d’attente d’un hôpital mais, là aussi, les soignants sont débordés. Il y a un problème de prise en charge général. La crise du logement, la pénurie d’hébergement d’urgence, le manque d’investissement de l’Etat… Tout cela se traduit par des drames.
Les personnels du Samu alertent depuis plusieurs années sur une pénurie de personnels… Comment cela se traduit-il ?
Le problème, c’est qu’au Samu on est débordés : on nous appelle parce qu’il est impossible d’avoir un rendez-vous avec un médecin généraliste, parce que le 115 n’a pas de solution, parce que les services de psychiatrie n’ont plus de places… On travaille entre dix et vingt-quatre heures de suite, en sous-effectif, avec des bas salaires et un nombre limité d’ambulances. Par exemple, à l’échelle de la Seine-Saint-Denis, on reçoit 1 500 appels en moyenne chaque jour, pour entre six et dix assistants de régulation et quatre à six médecins.
Décryptage
Il nous en faudrait plus, et il nous faudrait surtout plus de lits dans les hôpitaux. On doit aider à régler tous les problèmes d’un système de santé qui ne fonctionne pas, sans moyens, et on n’en peut plus.
Avec près de quarante ans d’expérience au Samu, quel est votre constat face à la crise actuelle ?
Cela fait des années qu’on alerte l’Etat, sans que la situation ne s’améliore, au contraire. La crise à laquelle on fait face aujourd’hui, on l’a vue venir. Il y a de plus en plus de gens à la rue, qu’ils aient un emploi ou non. Les métiers de la santé et du social ne sont plus attractifs, car les conditions de travail sont trop difficiles. L’hôpital va de moins en moins bien.
Il faut le dire clairement : le gouvernement ne met pas d’argent dans le système social et de soin, et c’est cette inaction qui provoque des morts. C’est de ça qu’on a besoin : de moyens. On continue à travailler parce qu’on veut être là pour les patients, mais on est en colère. Une colère noire.