La Hongroise Katalin Karikó et l’Américain Drew Weissman, tous deux pionniers de la vaccinologie à partir de l’ARN messager qui a ouvert la voie à la découverte des vaccins contre le Covid-19, ont été récompensés par le prix Nobel, ce lundi 2 octobre. «Les lauréats ont contribué au développement, à un rythme sans précédent, de vaccins à l’occasion d’une des plus grandes menaces pour la santé humaine dans les temps modernes», a ainsi expliqué le jury. Le professeur Jean-Daniel Lelievre, immunologue travaillant sur de nouveaux vaccins, en particulier contre le sida, au CHU du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), réagit pour Libération.
L’épidémie de Covid a tout bouleversé, y compris les calendriers. En 2020, un vaccin a été mis au point en des temps record, et voilà que le prix Nobel, contrairement à ses habitudes, récompense ses auteurs quelques années à peine après cette réalisation. Cette accélération est-elle une bonne nouvelle ?
Oui, et c’est vrai que cela constitue une surprise. On savait que Katalin Karikó recevrait cette récompense tôt ou tard, mais on pensait que cela prendrait quelques années, comme c’est l’habitude avec le Nobel. Là, cette accélération est une bonne surprise. Car d’une certaine manière, alors qu’il y a eu des débats sans fin sur le vaccin anti-Covid, avec des polémiques souvent déplacées, le sujet est clos par le Nobel. C’est un bon, un très bon vaccin, en plus d’être une magnifique façon de mettre au point une nouvelle conception de vaccin.
De fait, quel est le talent premier des deux lauréats ?
Il est double. D’abord, bien sûr, c’est l’idée de l’utilisation thérapeutique de cet ARN messager. C’est de se dire que l’ARN peut servir de vecteur pour stimuler notre système immunitaire. Mais c’est aussi une histoire particulière : celle de l’obstination dont a fait preuve Katalin Karikó. Elle ne s’est jamais arrêtée, elle s’est battue pour trouver des financements. Elle a quitté l’Europe faute d’en trouver, mais aux Etats-Unis cela n’a pas été simple non plus. Il est compliqué de convaincre, et c’est courageux de rester sur son idée.
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette technologie ?
Je connaissais bien l’ARN messager, car cela fait partie des pistes pour le vaccin du VIH et on connaissait son intérêt clinique. Il y a quelques années, certains mettaient en avant plutôt l’ADN que l’ARN. Et d’ailleurs Drew Weissman travaillait sur l’ADN dans un vaccin anti-VIH. Tout cela se tient. Pour inventer un vaccin il faut deux choses : trouver l’immunogène et ensuite trouver la manière de le faire voyager dans le corps le plus efficacement possible. L’ARN messager s’est révélé un magnifique transporteur, permettant une forte production de protéines et cela de manière prolongée.
Si on évoque de plus en plus de vaccins à ARN messager contre le cancer, qu’en est-il contre le VIH ?
Il y a une publication récente, très encourageante, sur un vaccin à ARN messager dans le cas du cancer du pancréas, avec des résultats très prometteurs. Dans d’autres cancers, d’autres équipes aussi y travaillent. Quant au VIH, il y a des avancées, avec les anticorps neutralisants à large spectre, qui sont une piste très intéressante. Ce prix Nobel ne peut que conduire à accélérer nos travaux et nous faciliter des financements.