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Libération
Violences sexuelles

Rassemblement #MeTooHôpital à Paris : «Nous voulons un réel changement de paradigme»

Des manifestants se sont réunis mercredi 29 mai près du ministère de la Santé, où une délégation a finalement été reçue, pour réclamer des «mesures concrètes» contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu médical.
Devant le ministère de la Santé, le 29 mai à Paris. (Luc Nobout/IP3)
par Elisa Boyer
publié le 30 mai 2024 à 9h45

«Les mots ne suffiront pas. Tout doit être fait pour que l’impunité cesse», interpelle une manifestante au micro. Il est 18 heures, place Pierre-Laroque dans le VIIe arrondissement de Paris. En face du ministère de la Santé, une soixantaine de personnes ont bravé la pluie pour faire front contre les violences sexistes et sexuelles dans le milieu de la santé.

C’est le collectif Emma Auclert, réunissant des étudiantes en médecine de Limoges, qui a lancé cet appel au rassemblement, relayé par NousToutes, l’Union étudiante, Osez le féminisme, l’Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l’enseignement supérieur et divers syndicats d’étudiants en santé, d’internes et de professionnels. Le collectif, qui exige «des mesures concrètes et immédiates», réclamait d’être reçu par Catherine Vautrin et son ministre délégué Frédéric Valletoux.

«Ça nous est arrivé à toutes dans le service»

Dans le cortège, les visages sont graves, l’ambiance solennelle. Des femmes en blouses blanches, sur lesquelles des mains sont dessinées autour de parties intimes, tiennent fièrement une banderole «Etudiants, soignants, patients, ensemble contre les violences sexistes et sexuelles». Au fil des prises de parole des organisations signataires et des témoignages de victimes, des applaudissements se laissent entendre. Le déclencheur du mouvement a été la prise de parole de l’infectiologue Karine Lacombe, accusant l’urgentiste Patrick Pelloux de «harcèlement sexuel et moral» dans Paris Match. Sur les réseaux sociaux, les témoignages de professionnelles de santé, étudiantes et patientes ont afflué, sous le hashtag #MeTooHôpital. Des personnalités publiques comme Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé, ou Marine Lorphelin, Miss France 2013 et désormais médecin généraliste, racontent également les pressions, discriminations et agressions qu’elles ont subies en tant que femmes dans ce milieu.

Maud, interne en médecine générale de 26 ans, connaît bien ce que cette manifestation dénonce. «Plusieurs fois, des amies ont été dans ces cas de figure. Il est arrivé à une de mes copines de se faire embrasser de force par un autre médecin. Quand elle en a parlé autour d’elle, on lui a dit : “Ça nous est arrivé à toutes dans le service.” Personne n’a jamais porté plainte.» Dans sa main, une pancarte sur laquelle une phrase issue d’un témoignage est écrite : «T’es nouvelle ? Tu suces ?»

Lui aussi étudiant en médecine à Paris, Martin, 19 ans, est venu soutenir le mouvement. «Les soignants ont un pouvoir. Les patients leur font confiance. S’ils abusent de cette confiance, c’est toute la profession qui est menacée.»

«Ce que nous voulons, c’est que des agresseurs ne puissent pas devenir soignants, que des formations et de la prévention soient faites pour les professionnels de santé en devenir et en poste, que les violences sexistes et sexuelles banalisées dans le milieu ne soient plus possibles», a déclaré Anne Leclerc, du Collectif national pour les droits des femmes, alors qu’une délégation d’organisateurs était finalement reçue au ministère.

Une tardive prise de conscience

Dans une interview au quotidien Ouest-France mardi 28 mai, le président de l’Ordre des médecins, François Arnault, a reconnu un manque de sanctions des violences sexistes et sexuelles, annonçant que l’Ordre allait «procéder à une enquête professionnelle auprès des médecins, sur les violences subies ou constatées», dont les résultats seront connus au mois d’octobre.

Une tardive prise de conscience d’une «hypocrisie sans nom», pour Cécile Piques, porte-parole d’Osez le féminisme : «Ça fait des années que les associations féministes pointent du doigt le sexisme dans le milieu de la santé et l’omerta pratiquée par l’Ordre des médecins. Un nombre important de plaintes rapportées à l’ordre finissent à la poubelle. Maintenant que le sujet monte, ils se réveillent parce qu’ils sentent acculés. Nous voulons un réel changement de paradigme, pas de l’esbroufe.»

A sa sortie du ministère dans la soirée, la délégation reçue a eu dit avoir le sentiment d’avoir pu exposer ses revendications, mais sans obtenir de réponses concrètes sur la mise en place de mesures. Selon une étude de l’Association nationale des étudiants en médecine de France, en 2021, une étudiante sur cinq avait été agressée sexuellement par un de ses camarades. Dans 90 % des cas, aucun signalement n’a été fait par peur de représailles et de conséquences sur leurs carrières.