Peut-on utiliser les gamètes de son conjoint mort pour faire un enfant ? La cour d’appel de Paris a reconnu ce mardi 14 octobre des liens de filiation dans deux dossiers distincts de procréation médicalement assistée (PMA) post-mortem, pratique qui soulève de nombreuses questions éthiques.
Cette opération étant interdite en France, les enfants des plaignantes, nés en Espagne, ne bénéficiaient pas des droits de succession de leur parent disparu. La cour a établi, dans le premier dossier, un lien de filiation au nom du «droit au respect de la vie privée de l’enfant», et a reconnu dans le deuxième dossier, un droit à l’héritage, reconnaissant en creux la filiation.
Ce que dit le Code de la santé publique
Le processus consiste pour une femme à réaliser, après la mort du conjoint, une PMA par insémination du sperme de ce dernier, ou via l’implantation d’un embryon conçu avec les gamètes du couple, puis congelé.
Cette opération est aujourd’hui légale en Espagne, à la condition que le père ait donné un consentement écrit avant sa mort ; les enfants ainsi conçus bénéficient alors de leurs pleins droits de succession. La pratique est en revanche interdite en France : le projet parental d’un couple s’éteint avec le décès de l’un de ses membres, précise l’article L.2141-2 du Code de la santé publique. L’interdiction concerne également le transfert de gamètes ou d’embryon vers un pays où la PMA posthume est autorisée.
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Le Code de santé publique prévoit trois options pour le membre survivant : consentir à ce que les embryons soient accueillis par un autre couple, utilisés pour la recherche ou détruits. D’autres pays européens autorisent la PMA post-mortem, parmi lesquels la Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni. A l’inverse, l’Allemagne, le Danemark, l’Italie et la Suisse l’interdisent.
«Hypocrisie» et «cynisme»
La PMA posthume a fait l’objet de vifs débats chez les parlementaires lors de la dernière révision de la loi de bioéthique en 2021. La ministre de la Santé d’alors, Agnès Buzyn, avait notamment estimé que la PMA posthume risquait «d’amener les femmes vers un deuil interminable». Son homologue à la Recherche, Frédérique Vidal, évoquait le risque de «pressions» que les proches du défunt pourraient exercer sur la veuve.
Les défenseurs de la mesure pointent le paradoxe d’autoriser les PMA pour les femmes seules et d’interdire dans le même temps à une veuve de poursuivre un «projet parental» déjà engagé. Le collectif Bamp, association de patients de l’aide médicale à la procréation, dénonce notamment «l’hypocrisie» et le «cynisme» de la loi, qui permet aux femmes de «faire don de leurs embryons et demander un don de sperme d’un inconnu».
Jugeant ce combat «légitime» et «méritant d’être porté», le député socialiste Arthur Delaporte a indiqué avoir déposé une proposition de loi pour tenter de faire évoluer la législation.
Adapter le droit de succession
Le Conseil consultatif national d’éthique (CCNE) s’est prononcé contre l’utilisation de sperme cryoconservé, mettant en avant le fait que le «consentement du futur géniteur au moment même de la procréation» est «difficilement vérifiable».
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En revanche, il s’est dit favorable au transfert d’embryons après le décès de l’homme, à condition qu’il ait exprimé de son vivant son consentement à cette éventualité et que la femme concernée bénéfice d’un «accompagnement médical et psychologique».
Concernant le droit des successions, il devrait être effectivement «adapté» pour «prendre en compte la situation particulière d’un enfant dont la date de naissance se situerait en dehors de la période présumée de conception», mais ces «difficultés juridiques» ne sont pas «insurmontables», selon le CCNE. La question de la PMA post-mortem reviendra au cœur des débats en 2026, à l’occasion des futurs Etats généraux de la bioéthique.
Mise à jour à 15h59 avec la décision de justice de la cour d’appel de Paris