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Interview

Retour des beaux jours : «Dans un contexte pareil, ce petit élément de joie est perçu de façon encore plus intense»

Le psychologue Fabrice Bak explique les raisons physiologiques du bien-être lié à la réapparition du soleil. Selon lui, le contexte anxiogène actuel favorise la survalorisation du printemps.
Le long du canal Saint-Martin à Paris, jeudi 3 avril 2025. (Julien de Rosa /AFP)
publié le 5 avril 2025 à 17h49

La France tout entière soupire de bonheur sous les rayons du soleil. Alors que les températures de cette fin de semaine oscillent entre 21 et 23 °C dans la plupart des régions selon Météo France, des valeurs parfois 5 à 8 °C au-dessus des normales de saison, les Français profitent de leurs retrouvailles avec le beau temps.

Douceur, lumière et premiers bourgeons revigorent les cœurs tandis que s’éloignent les souvenirs de grisaille de l’année 2024, historiquement faible en ensoleillement. En février, Libé chroniquait les conséquences d’un manque de soleil aussi prolongé sur le corps humain et la santé mentale. Ce samedi 5 avril, alors que le ciel bleu nous enveloppe de lumière, Fabrice Bak, fondateur et directeur du premier cabinet français de consultations en psychologie cognitive appliquée, revient sur les raisons d’un tel engouement pour le printemps.

Pourquoi se sent-on mieux lorsque les beaux jours reviennent ?

Sur le plan physiologique, il y a des raisons très terre à terre : l’exposition au soleil améliore la production de sérotonine au niveau du cerveau. C’est un neurotransmetteur qui est lié à la régulation de l’humeur, de l’anxiété. C’est ce qu’on appelle l’hormone du bonheur. Quand les beaux jours arrivent, on se sent globalement plus apaisé, plus serein qu’en automne-hiver.

Le soleil stimule aussi la production de vitamine D, essentielle sur le plan physique, mais aussi mental. Quand on a un déficit de cette vitamine D, on peut développer des troubles de l’humeur, une dépression, une anxiété. L’humain se tourne naturellement vers l’extérieur pour solliciter ces éléments. Et plus on sort, plus on est en contact avec la nature, ce qui a aussi un effet très apaisant. Cela aide à réduire les niveaux de cortisol, l’hormone du stress. Aujourd’hui, le monde et les actualités sont très anxiogènes. Le fait de pouvoir se balader, pique-niquer ou s’asseoir sur les quais d’un fleuve diminue la sécrétion de cortisol.

Enfin, les premiers jours du printemps sont un avant-goût de l’été, ce que notre cerveau associe généralement à des souvenirs positifs : les vacances, les soirées entre amis, etc. Tous ces éléments favorisent une sensation de bien-être.

La lumière joue aussi un rôle important…

En effet. On connaît l’impact d’un manque de lumière, comme dans les pays nordiques où les hivers et les nuits sont longs. Là-bas, les personnes peuvent présenter des TAS, des troubles affectifs saisonniers, beaucoup plus marqués. Et lorsque les mois les plus ensoleillés arrivent, il y a un regain d’énergie, de joie de vivre.

On s’habille de façon plus légère, on se tourne vers l’extérieur, on est moins connecté à son téléphone portable. Un changement de rythme et d’activités s’amorce et aide à temporiser les éléments négatifs qu’on peut ressentir dans sa vie personnelle, professionnelle, voire au niveau de la société.

Y a-t-il un lien avec la morosité de l’actualité ?

Le contexte socio-économique dans lequel nous sommes, on ne peut rien y faire. La guerre en Ukraine, la crise économique, on subit tout ce qu’on entend. C’est extrêmement pesant au quotidien. Face à tout cela, se réjouir du beau temps est quelque chose qui ne coûte rien, dont on peut tous bénéficier facilement. Dans un contexte pareil, ce petit élément de joie est perçu de façon encore plus intense.

N’est-ce pas un bonheur un peu artificiel ?

Malheureusement, oui. Plus la pression est forte, plus les petits bonheurs comme le beau temps sont survalorisés. Mais si demain le temps se gâte, on retombera vite dans les tracas passés. Paradoxalement, des gens aussi heureux du retour du soleil, c’est un indicateur d’une société qui va mal.

On ne vit rien d’exceptionnel, si ce n’est le retour du printemps, mais les gens ont besoin de contrebalancer leur malaise intérieur et la souffrance du quotidien. D’ailleurs, c’est étonnant de se dire que les gens se satisfont de ces températures, plus élevées que la normale, sans penser au réchauffement climatique dont ils ne veulent pas entendre parler [27 °C ont été relevés à Paris ce samedi, alors que la normale mensuelle des mois d’été est de 25 °C, ndlr]. Et quand on le dit, c’est comme si gâchait quelque chose qui fait du bien.

Les personnes sont-elles égales face à l’influence de la météo sur l’humeur ?

Pendant longtemps, on a parlé de personnes qui seraient plus ou moins sensibles. Mais non, il n’y a pas véritablement d’éléments prouvés en ce sens. On sait que le retour de l’automne et du mauvais temps peut être associé à des épisodes dépressifs plus marqués, mais ce n’est pas lié à un type de personnalité. Toutes les personnes peuvent être concernées. Dans tous les cas, le soleil est là, autant que les gens en profitent en ces temps difficiles.