Après le «patient de Berlin» en 2009, le «patient de Londres» en 2019 ou encore «le patient de Genève» en 2023, le huitième visage de la guérison du VIH suite à une allogreffe de moelle osseuse est français. Agée d’une soixantaine d’années, la patiente de l’hôpital Sainte-Marguerite à Marseille avait été diagnostiquée séropositive en 1999 et avait bénéficié d’une greffe en 2020 pour soigner une leucémie myéloïde aiguë (le cancer du sang et de la moelle osseuse le plus fréquent chez l’adulte). Si la dangerosité de la greffe ainsi que la lourdeur des traitements liés à l’acte ne permettent pas pour l’heure de la généraliser à l’ensemble des patients, l’information «ouvre de nouvelles perspectives pour la recherche sur le virus», se félicite l’AP-HM (hôpitaux publics de Marseille) dans un communiqué le 10 janvier.
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En effet, les huit allogreffes – c’est-à-dire, à la différence d’une autogreffe, de cellules provenant d’un autre individu – de moelle osseuse rapportées dans le monde depuis 2009 ont avant tout été réalisées dans l’objectif de traiter un lymphome ou une leucémie. Deux mécanismes ont toutefois permis la rémission des patients : «D’une part, la greffe induit tout un orage immunologique. On renouvelle en profondeur le système immunitaire et on baisse la défense pour que l’organisme ne rejette pas la greffe, ce qui participe à vider le réservoir [l’endroit où le virus se cache, ndlr]», précise Yazdan Yazdanpanah, directeur de l’ANRS maladies infectieuses émergentes. De l’autre, la patiente marseillaise, tout comme six des autres personnes guéries du VIH dans le monde, ont reçu une greffe de moelle osseuse d’un donneur qui présentait une mutation génétique rare : une délétion (perte) au niveau du gène CCR5, sur lequel se fixe normalement le VIH pour détruire les cellules. Et, sans récepteur, le VIH ne peut se poser.
«Il ne faut pas que cela occulte le volet prévention»
Si le cas de la patiente de Marseille est une prouesse et reste un cas très spécifique de recours à la greffe, il représente, comme les sept autres, un coup de pouce considérable à la recherche sur les traitements du VIH : «Actuellement, deux ou trois protocoles sont en cours à l’ANRS pour voir s’il est possible de mettre les patients en rémission», abonde Yazdan Yazdanpanah. Au niveau européen, plusieurs chercheurs ont également entamé un travail pour demander un typage systématique sur le gène CCR5 des donneurs afin de permettre aux patients nécessitant une greffe d’en bénéficier automatiquement.
Du côté associatif, on dresse un même bilan en demi-teinte. «Cela reste une bonne nouvelle pour cette femme mais n’oublions pas qu’il s’agit de huit cas de guérison sur des millions de morts au cours des quarante dernières années», déplore Emmanuel Bodoignet, membre du bureau de Aides. Alors que 38 millions de personnes vivent avec le VIH dans le monde, il ne faut pas, selon lui, que ces maigres annonces de guérison occultent le volet prévention, «car, en réalité, on a toujours des difficultés à rendre le médicament antirétroviral de la Prep [pour prophylaxie pré-exposition, ndlr] disponible partout, la question du dépistage reste compliquée, et on manque cruellement de médecins dans les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (Cegidd).»
L’impact du contexte politique
Et de rappeler que, si le bilan annuel de l’agence Onusida, publié en novembre, est encourageant car il révèle que les infections sont tombées en 2023 entre 1 et 1,7 million, soit leur plus bas niveau historique, l’avenir du VIH en France est avant tout dépendant du contexte politique : «En ce sens, les discussions autour du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025 ont de quoi inquiéter : quel futur pour les services hospitaliers ? Aurons-nous plus de bras pour les mises sous Prep et les sérologies ? Est-ce que les personnes issues de l’immigration pourront toujours bénéficier de l’aide médicale d’Etat (AME) ? Autant de questions qu’un cas de rémission ne doivent pas balayer.»