La tendance pullulait déjà dans les années 2000 et au début des années 2010. Sur les réseaux sociaux, que ce soit Twitter, Tumblr, Pinterest ou Instagram, sous le nom de mouvement pro-ana, pour pro-anorexie. Dans les cours de récréation, avec l’apologie du thigh gap, cet écart entre les cuisses qu’il fallait avoir pour ne pas être jugée grosse. Aujourd’hui, la promotion de la maigreur extrême refait surface, cette fois sur Tiktok, avec le #Skinnytok, du mot anglais skinny (maigre) et du suffixe renvoyant à la plateforme chinoise. Au point d’alerter les autorités françaises, qui ont saisi, ce vendredi 18 avril, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) et la Commission européenne. Libération revient sur ce culte de la minceur dangereux pour les jeunes adolescentes.
Déjà en 2016
En quoi consiste cette tendance ?
La vidéo étant le concept intrinsèque de l’application chinoise, la tendance se caractérise par des montages de jeunes femmes et jeunes filles mettant en avant leur maigreur accompagnée d’une musique – contrairement à Tumblr par exemple, où la plupart des posts pro-anorexie étaient des photos, des notes de blog ou des gifs. Ces vidéos contiennent des conseils pour perdre du poids. Elles incitent par exemple à pratiquer un jeûne spécifique : pas de petit-déjeuner ni de déjeuner avant 16 heures, et un repas uniquement le soir. Et si la faim guette, la solution est simple, il suffit de boire de l’eau.
Ici, pas d’appel à l’acceptation de soi. Sous couvert de motivation, les messages postés sont culpabilisants, pour ne pas dire grossophobes. Florilège : «Tu veux prendre un snack ? Ou en devenir un ?», «Tu n’es pas moche, tu es juste grosse», «Si ton estomac gargouille, c’est toi déjà qui t’applaudis», «Est-ce que t’as encore envie de te cacher à la plage ?», «Arrête de te récompenser avec de la bouffe, tu n’es pas un chien.»
Autant de conseils provocateurs pouvant pousser à adopter des troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie, etc.), ce qui inquiète les professionnels de santé. Interrogé par le Point, Michael Stora, psychanalyste et fondateur de l’Observatoire des mondes numériques en sciences humaines, évoque une «catastrophe sanitaire». D‘autant plus que le phénomène «touche une population jeune, adolescente, et que l’adolescence est précisément le moment de la vie où l’image de soi est fragile, voire défaillante».
Que mettent en place les réseaux sociaux concernés ?
En réalité, pas grand-chose. A défaut de censure, TikTok a mis en place un message de prévention, uniquement affiché sous forme de bandeau au-dessus des publications. Ce dernier peut mener les utilisateurs vers une page de ressources liées aux troubles de l’alimentation – à condition de cliquer dessus. L’algorithme du réseau social chinois est tel que pour une vidéo de ce type visionnée, le fil est rapidement rempli du même type de contenus, submergeant l’internaute. Pourtant, l’entreprise assure ce vendredi auprès de l’AFP avoir «mis en place des règles strictes contre le body shaming [dénigrement du corps, ndlr] et les comportements dangereux liés à la perte de poids». «Afin de protéger les adolescents, nous limitons l’accès aux contenus présentant des idéaux corporels néfastes», a insisté l’application. Sur le réseau, le mot-clé «skinny» était associé à plus de 500 000 publications vendredi à la mi-journée.
Pour aller plus loin
Sur Instagram, propriété du groupe Meta, la recherche du mot-clé «skinny» renvoie directement sur une page d’aide, qui peut être contournée facilement, pour accéder aux publications. Des mesures sans coercition, si bien que ces contenus restent largement accessibles aux plus jeunes.
Comment ont réagi les autorités ?
Inquiète des idées que l’on glisse dans la tête des jeunes internautes, la ministre française en charge du Numérique, Clara Chappaz, a annoncé vendredi 18 avril avoir saisi l’Arcom et la Commission européenne. «Skinnytok, une tendance qui promeut la maigreur extrême sur les réseaux. Inadmissible. J’ai saisi l’Arcom et la Commission européenne», a écrit la ministre dans un message posté sur LinkedIn. «Je fais de la protection des mineurs en ligne une des priorités de mon action», a-t-elle ajouté dans une vidéo postée sur le même réseau social, assurant qu’elle ne «laisserai[t] pas les plateformes fuir leurs responsabilités».
Billet
L’Arcom a indiqué à l’AFP s’être «d’ores et déjà saisie du sujet compte tenu du risque de santé publique que ce phénomène peut représenter». L’autorité a également dit vouloir «recueillir les éléments à même de caractériser ce risque en France» et «connaître les moyens mis en œuvre par TikTok pour y répondre».
Début mars, les députés français ont approuvé la création d’une commission d’enquête sur les effets psychologiques de TikTok sur les enfants et les adolescents, le réseau social étant particulièrement populaire chez les jeunes. Le président de l’Arcom, Martin Ajdari, sera auditionné par cette commission le 20 mai.
Mise à jour à 15 h 43 avec la réponse de Tiktok.