C’était il y a cinq ans. Le dimanche soir du premier tour catastrophique des municipales. J’ai envoyé un mail à Libération proposant un «Journal d’épidémie» dans lequel j’avais l’ambition de chroniquer ce qui allait nous arriver en pleine face : «L’épidémie s’étend, le confinement arrive. Tout va changer dans la façon de gérer. Ma proposition ? Un journal aux temps du corona en première ligne, en médecine générale, en sachant que tout est possible et qu’on ne sait pas quelle forme ça prendra. Dans nos cabinets ? En réquisition avec l’armée ? En soutien à l’hosto ? En visite ou en consultation dans des tentes à l’air frais ? On ne sait rien. Mais on va apprendre et faire avec jour après jour. J’ai les compétences médicales, la culture littéraire, les infos médicales sur les réseaux sociaux et sur mon réseau perso de soignants, pour faire ça. Ainsi que les compétences pour donner des infos simples et compréhensibles sur les questions médicales, anti-inflammatoires non stéroïdiens ou pas, chloroquine, etc.»
Choix déplorables
Je ne savais pas que Libération accepterait, et je ne savais pas que cinq ans après nous serions encore confrontés au Covid et à ses conséquences. Ses conséquences sanitaires, avec les décès, les Covid longs et l’effondrement accéléré du système de santé. Mais aussi ses conséquences psychologiques et morales sur chacun de nous, et ses conséquences politiques, parce que la pandémie a bousculé nos sociétés, fragilisé notre cohésion, aggravé les inégalités et servi de terreau à une multitude de charlatans, d’escrocs et de fascistes qui s’en sont servis pour avancer leurs pions, construire leur notoriété, distiller leurs mensonges en fragilisant la confiance de la population dans ses soignants et dans la nécessité d’une société solidaire. Cinq ans plus tard, les mensonges des politiques, leurs erreurs, ont été balayés sous le tapis. Aucun retour d’expérience réel n’a eu lieu, car il mettrait en lumière certaines responsabilités, certains choix économiques déplorables et au final délétères.
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La période est passée. Le Covid est toujours là, même si le virus qualifié d’hivernal s’est montré très discret ces derniers mois. Les scientifiques, les universitaires, les chercheurs sont regardés avec méfiance et dédain par des milliardaires boursouflés de bêtise, des politiciens populistes et démagogues qui, aux Etats-Unis, installent au pouvoir ceux-là mêmes qui considéraient que le meilleur moyen de gérer la pandémie était de la laisser déferler sur la population et ainsi d’écrémer les vulnérables, de manière à sauvegarder les bénéfices économiques. Outre-Atlantique, ils ont pris le pouvoir. En France, des politiciens de droite sans légitimité dans les urnes rêvent de s’attaquer de la même manière à des scientifiques qu’ils ne comprennent pas et dont les alertes ne constituent pas un bénéfice électoral.
L’écart entre ceux qui nous gouvernent et la population
Pendant ces cinq années, j’ai tenu à interviewer des dizaines de personnes, des médecins, des aides-soignantes, des infirmières, des dentistes, des épidémiologistes, des professeurs, des institutrices, des personnes handicapées ou vulnérables, des malades, des patients passés en réanimation ou atteints de Covid long, des militants, des scientifiques, afin de partager leur vécu, des informations médicales, des conseils de prudence et de prise en charge. J’ai aussi rencontré des politiques et des scientifiques en place, et mesuré l’écart entre ceux qui nous gouvernent et la population, l’incapacité à considérer celle-ci comme adulte et capable d’être informée honnêtement, la prévalence des éléments de langage ânonnés aux informations sourcées, l’incapacité à reconnaître une incertitude, un doute.
En l’absence de retour d’expérience officiel, cinq ans après, j’ai donc recontacté mes interlocuteurs, celles et ceux que j’ai cités longuement en donnant leur nom, celles et ceux qui, du fait de leur position, ont exigé l’anonymat. Des scientifiques, des soignants hospitaliers, des médecins de ville, des militants de l’autodéfense sanitaire, et des membres de la population, et je leur ai posé des questions très simples :
- Quel est votre meilleur souvenir de cette période… et le pire ?
- Avec le recul, qu’auriez-vous fait différemment ?
- Pour la prochaine crise sanitaire, que feriez-vous ?
Une série de témoignages en sept épisodes
Pour le premier volet de cette série de retours d’expérience, j’ai choisi d’interviewer des scientifiques, ceux qui ont tenté de comprendre le comportement du virus et la manière de le combattre.
Le second volet est consacré à des soignants hospitaliers, ceux qui ont fait face aux vagues successives, et sur la résilience desquels on misait tout. Jusqu’au jour où le politique a considéré la menace éloignée.
Dans un troisième volet, je suis retourné voir des médecins de ville, qu’une partie non négligeable du public et des décideurs imaginent encore avoir seulement prescrit du doliprane en restant à distance des malades.
Le quatrième épisode s’intéresse à celles et ceux qui ont informé et milité pour l’autodéfense sanitaire.
Dans le cinquième retour d’expérience, j’ai interviewé certains de ceux qui ont étudié et dénoncé le complotisme, chose que le gouvernement ne s’est pas senti capable de faire.
Pour le sixième épisode, j’ai questionné des gens qui comme nous tous ont confronté le Covid, au travail, à la maison, au sein de leur famille, et ne participent pas au déni général actuel et à la volonté d’oublier qu’il est toujours présent.
Enfin, le septième et dernier épisode donne la parole à celles pour qui il y a eu un avant et un après, celles pour qui cette pandémie a marqué une bascule. Ils et elles sont nombreux, même si le déni actuel les passe sous silence.
Tout au long de la semaine, découvrez leurs témoignages.