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Abus

Soumission chimique : une mission parlementaire pour faire la lumière sur une pratique de l’ombre

Selon «le Parisien», Gabriel Attal a confié à la députée Sandrine Josso une mission parlementaire sur la soumission chimique. L’élue de Loire-Atlantique accuse le sénateur Joël Guerriau de l’avoir droguée le 14 novembre pour tenter d’abuser d’elle.
La députée Sandrine Josso à l'Assemblée nationale, le 16 janvier. Elle accuse le sénateur Joël Guerriau de l'avoir droguée. (Albert Facelly/Libération)
publié le 6 mars 2024 à 11h29

Neuf fois sur dix, la victime est une femme. La soumission chimique, soit l’administration à des fins criminelles (viols) ou délictuelles (violences, vols) de substances psychoactives à l’insu de la victime, est un phénomène en pleine expansion en France. Il va faire l’objet, selon le Parisien, d’une mission d’information autorisée par le Premier ministre, Gabriel Attal. Les travaux vont être confiés à la députée centriste de Loire-Atlantique Sandrine Josso, elle-même victime il y a quelques semaines de soumission chimique.

Le phénomène a fait une entrée fracassante à l’Assemblée nationale, le 16 janvier dernier. Dans l’hémicycle, les députés se lèvent et applaudissent le retour de Sandrine Josso. «Le 14 novembre dernier, je suis allée chez un ami le cœur léger pour fêter sa réélection. J’en suis ressortie terrorisée : j’ai découvert un agresseur. Je comprends alors que j’ai été droguée à mon insu», raconte alors la députée, qui a appelé le gouvernement à prendre «à bras-le-corps» cette problématique. L’homme qu’elle accuse, c’est Joël Guerriau, 66 ans, sénateur de Loire-Atlantique.

Les analyses médicales de la députée ont révélé la présence d’ecstasy dans son sang. Quant au sénateur, il a été mis en examen le 17 novembre pour «administration à l’insu» de la députée «d’une substance de nature à altérer son discernement ou le contrôle de ses actes, afin de commettre un viol ou une agression sexuelle et détention et usage de substances classées comme stupéfiants», et placé sous contrôle judiciaire.

Le GHB, très minoritaire en France pour la soumission chimique

Au Parisien, la députée fait part d’un «déclic» survenu durant son passage à l’hôpital Lariboisière le soir du 14 novembre après avoir réussi à fuir le domicile du sénateur. «Je n’arrêtais pas de poser des questions aux soignants : «“Est-ce que vous voyez souvent des gens comme moi ? Combien de temps la drogue reste-t-elle dans le corps ?” J’étais déjà en mission. Il était de mon obligation d’alerter le gouvernement à ce sujet», raconte la parlementaire.

Désormais, c’est le costume de «lanceuse d’alerte constructive» que la parlementaire souhaite revêtir pour prendre la tête de cette mission d’information. Durant six mois, elle et ses collègues feront le point sur l’état des lieux des dispositifs existants, l’estimation précise du nombre de victimes au moyen d’une série d’auditions d’associations et de professionnels de santé.

Somnifères, anxiolytiques, antihistaminiques, les médicaments utilisés pour soumettre chimiquement sont pour beaucoup présents dans l’armoire à pharmacie et faciles à se procurer. Quant au fameux GHB-GBL, plus connu sous le nom de «drogue du violeur», son utilisation à des fins de soumission chimique est très minoritaire en France. Les produits les plus couramment utilisés en France à des fins de soumission chimique sont les benzodiazépines (psychotropes anxiolytiques) et l’alcool, comme le montre l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui recense tous les cas enregistrés de soumission chimique avec identification et dosage des substances en cause.

«Nous parlons de gens extrêmement bien insérés dans la société»

Comme la députée Sandrine Josso, Caroline Darian, la fondatrice de l’association «M’endors pas», demande une vraie prise de conscience et les moyens d’une prise en charge à la hauteur. En novembre 2020, la cadre en communication découvre que son père a drogué et fait violer sa mère durant des années par des dizaines d’hommes. Les enquêteurs retrouvent 20 000 photos et vidéos à caractère pornographique dans les appareils saisis de cet homme jusqu’alors sans histoire. Et 83 individus y ont été identifiés, «le plus jeune avait 22 ans», s’étouffe la responsable associative, toujours en attente d’une date de procès. «Nous parlons de gens extrêmement bien insérés dans la société, insiste-t-elle. C’est le restaurateur, l’entrepreneur…», «l’homme politique, père de cinq enfants», coupe Sandrine Josso, devenue depuis marraine de l’association.

«Cette mission parlementaire est donc essentielle. Encore aujourd’hui, il suffit d’aller sur Internet pour trouver, à partir des médicaments que vous avez sous la main, le mode d’emploi du bon petit prédateur. C’est ce qu’a fait mon géniteur», décrit la responsable associative. Caroline Darian rêve aujourd’hui d’une grande campagne de prévention, d’intervention dans les établissements scolaires «mais pour cela, il faut de l’argent et nous n’en avons pas», alerte-t-elle. Chaque année, le centre d’addictovigilance de Paris fait remonter à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) les signalements et plaintes reçus partout en France. En 2020, 539 cas «d’agressions facilitées par les drogues» ont ainsi été recensés, 727 en 2021. Pour l’année 2022, les chiffres explosent pour atteindre 2 000 signalements.