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Libération
Interview

Soutien aux aidants : «Une personne en fin de vie ne peut pas être seule à domicile»

Fin de viedossier
Alors que le projet de loi «relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie» doit être présenté en Conseil des ministres le 10 avril, la présidente du collectif «Je t’aide», promouvant les droits et la visibilité des aidants, Corinne Benzekri réclame des moyens renforcés.
Les aidants sont aujourd’hui près de 12 millions en France. (Arnaud Le Vu/Hans Lucas. AFP)
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 10 avril 2024 à 6h05

Le projet de loi «relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie» doit être présenté en Conseil des ministres ce mercredi 10 avril. Hormis l’ouverture à une pratique strictement encadrée d’une «aide à mourir», annoncée le mois dernier par Emmanuel Macron dans Libération, le texte doit porter une stratégie renouvelée en matière de soins palliatifs. D’après le code de la santé publique, ces soins «visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage». La ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités, Catherine Vautrin, a déjà annoncé il y a quelques jours un effort financier de 1,1 milliard d’euros sur dix ans pour développer ces «soins d’accompagnement» des patients, mais aussi de leurs proches.

Il s’agirait notamment de doubler en dix ans l’offre d’hospitalisation à domicile, en étoffant le réseau de soignants disponibles, mais aussi de reconnaître et d’apporter un soutien accru au parcours de vie des aidants avec une enveloppe de 30 millions d’euros à la clé. Les aidants sont aujourd’hui près de 12 millions en France. Plusieurs pistes sont évoquées : simplifier l’accès au congé spécifique qui existe déjà, via une allocation journalière d’accompagnement, développer les solutions de répit et renforcer le soutien psychologique. Présidente du collectif «Je t’aide», qui regroupe une trentaine de structures promouvant les droits et la visibilité des aidants, Corinne Benzekri salue l’initiative gouvernementale mais réclame des moyens renforcés.

En quoi ce projet de loi sur la fin de vie constitue-t-il, selon vous, une avancée ?

C’est la reconnaissance d’un besoin accru d’accompagnement des personnes en fin de vie. Et l’annonce de l’ouverture de lits en soins palliatifs, dans des départements qui n’étaient jusque-là pas couverts, correspond au besoin exprimé par les aidants d’avoir des réponses à proximité du lieu d’habitation de la personne malade en fin de vie. La création de maisons d’accompagnement est aussi une avancée importante. On a besoin de petites unités qui ne soient pas des lits d’hôpital mais qui permettent de mieux accompagner les personnes. Ces maisons peuvent correspondre à des patients qui ne sont pas prêts à aller à l’hôpital. Cela permet d’envisager pour certains un aller-retour entre ces lieux et le domicile, pour que la personne soit accompagnée au mieux à domicile.

Les moyens annoncés vous semblent-ils suffisants ?

Comme on a du retard, je me serais attendue à des mesures fortes plus rapidement. On parle de millions d’euros déployés sur plusieurs années, il aurait fallu des crédits immédiatement. Car l’aide active à mourir risque d’arriver très rapidement alors qu’en parallèle la réponse des soins palliatifs ne sera pas encore assez solide. Ca va forcément coincer, il y aura un décalage. Et est-ce que 30 millions d’euros suffiront pour les aidants ? Il faudra réévaluer ces enveloppes d’ici cinq ans pour les adapter aux besoins de la société. Je comprends les contraintes, mais il faut mettre les moyens car d’ici à 2030, un Français sur quatre sera aidant. Il faudrait également redonner du sens aux soignants, pour qu’ils aient envie de s’investir dans cette thématique des soins palliatifs et de la fin de vie. Cela me semble aussi important que l’engagement financier. Si les soignants sont là, correctement formés aux soins palliatifs et à l’aidance, les patients sont soulagés, les aidants aussi.

Une majorité de Français souhaitent finir leur vie à domicile, plutôt que dans un établissement médicalisé. Est-ce possible ?

Les moyens mis dans le maintien à domicile sont insuffisants aujourd’hui. En attendant de créer les maisons d’accompagnement, il faut continuer à renforcer le soutien aux services d’hospitalisation à domicile, pour répondre à des demandes plus nombreuses et sur des périodes plus longues. La fin de vie est une problématique complexe, les aidants ont des questionnements de chaque instant sur la nutrition, l’hydratation, la prévention des escarres, la souffrance, le refus de certains traitements ou de certains soins plus intrusifs, qui sont parfois refusés par le patient. Une personne en fin de vie ne peut pas être seule à domicile. L’aidant, c’est un binôme avec son aidé.

Quels sont les besoins des aidants ?

Ils ont besoin de formation et d’information, pour savoir vers qui aller afin d’anticiper la situation de fin de vie. Ils sont souvent seuls à coordonner les soins. Et on estime autour de 20 % la part des soins qu’ils prodiguent eux-mêmes alors qu’ils ne sont pas des professionnels de santé, parce qu’il n’y a pas assez d’aide à domicile. On évoque beaucoup le virage domiciliaire mais l’étayage autour de la personne malade doit être renforcé. Par ailleurs, les aidants bénéficient très peu, de l’ordre de 10 %, des allocations qui leur sont destinées. Il faut pouvoir libérer leurs droits. Certains ne les connaissent pas, d’autres ont des difficultés à y accéder. Il faut faciliter leur parcours administratif, qui n’est pas toujours lisible pour les employeurs et les DRH. Le montant de ces allocations doit être revalorisé. Comme elles sont indexées sur le smic, c’est plus avantageux pour les aidants de se mettre en arrêt maladie. Et il ne faut pas oublier les jeunes aidants, scolarisés ou étudiants. On estime qu’ils sont un million en France à être concernés par ce sujet des soins palliatifs car ils accompagnent un proche, souvent un parent, qui peut être en fin de vie.

Pourquoi un soutien pratique et psychologique est-il nécessaire ?

Il est aussi impératif d’accompagner l’aidant après le décès de la personne aidée, que de l’accompagner quand il est aux côtés de son proche. Il faut lui donner les bons conseils pour prévoir les démarches à faire après le décès, l’aider à mieux préparer le moment de la fin de vie puis du deuil. La fin de vie concerne l’aidant et l’aidé, il faut leur rappeler qu’ils ont des droits, aborder la question des directives anticipées, de l’organisation des obsèques. Tout cela se prépare, il y a l’idée d’un parcours pour éviter d’être démuni dans une situation de stress. Or les aidants n’ont pas forcément beaucoup de temps pour s’organiser.