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Travailleurs du sexe face à la variole du singe: «J’ai réduit le travail en évitant les partouzes»

Eligibles à la vaccination depuis le 11 juillet, les professionnels du sexe, particulièrement exposés au virus, sont contraints de revoir leurs pratiques et peinent à trouver des rendez-vous pour se faire vacciner. Des associations militent pour indemniser les personnes malades.
Lors d'un rassemblement de travailleurs du sexe en avril 2018 à Paris. (Christophe Archambault/AFP)
publié le 27 juillet 2022 à 9h10

«En discutant avec un collègue qui avait les mêmes symptômes, on s’est rendu compte que cela correspondait avec un client qu’on a vu en même temps, raconte Calvy (1), travailleur du sexe (TDS), qui se souvient avoir aperçu quelques boutons sur son partenaire au moment de l’acte. Il m’a dit que c’était un problème d’urticaire, et je pense qu’effectivement, il ne savait pas qu’il s’agissait de la variole du singe. Cette personne avait un certain âge, je suis parti du principe qu’il était déjà vacciné contre la variole, et donc protégé. Mais surtout, financièrement, je ne pouvais pas me permettre de dire non sur le moment.»

Les travailleurs du sexe (TDS) hommes sont parmi les plus exposés à la variole du singe. Ayant des rapports sexuels fréquents et des partenaires différents, ils cumulent les risques, cochant plusieurs cases des modes de transmission connus du virus : peau à peau, contact avec les muqueuses, la literie… Si la vaccination est ouverte aux «personnes en situation de prostitution» depuis le 11 juillet – le ministère de la Santé s’appuyant sur les recommandations de la Haute Autorité de santé – la réalité semble tout autre, et ce malgré l’urgence de leur situation.

«Les TDS sont demandeurs du vaccin, mais c’est difficile d’avoir des créneaux, explique Eva Vocz, chargée de mission pour Act Up-Paris. L’OMS a qualifié la variole du singe comme une urgence de santé publique internationale, mais il y a une minimisation du gouvernement français sur le sujet. Lundi, on a un ministre de la Santé qui fait de grandes annonces [dont l’ouverture d’un grand centre de vaccination dans la capitale, ndlr], mais il n’y a pas que Paris ! Les gens d’autres régions ont également des rapports sexuels, TDS ou non. On demande que les médecins généralistes et pharmaciens puissent vacciner.»

«En mettant la capote, je perds la moitié de mes clients»

Par souci de prévention et parce qu’ils n’arrivent pas à se faire vacciner, certains ont donc choisi de limiter leur activité professionnelle. «J’ai réduit le travail en n’acceptant que les clients réguliers, et en évitant les partouzes. Sur le mois de juillet, j’ai perdu au moins un tiers de mon chiffre habituel», affirme Thierry Schaffauser, TDS et membre du Syndicat du travail sexuel. Eva Vocz ajoute que les TDS «les plus précaires» ne peuvent s’imposer ces restrictions pour se protéger, au risque de «ne pas payer leur loyer ni manger».

Malgré ses efforts, Thierry Schaffauser pense quand même qu’il finira par attraper le virus. D’autant qu’avec la généralisation du traitement Prep, traitement préventif pour les personnes exposées au VIH, et l’industrie actuelle du sexe gay, «il devient difficile d’imposer le préservatif». «En mettant la capote, je perds la moitié de mes clients», estime Thierry Schaffauser. S’il n’est pas encore établi que le sperme est un mode de transmission, certaines études ouvrent la voie à cette possibilité.

Pour les TDS infectés, isolés durant trois semaines, c’est la double peine. En plus de ses symptômes douloureux, Calvy s’est retrouvé en insécurité financière. «J’ai fait le mois avec 200 euros car deux clients m’ont fait une avance», révèle cet habitant de Niort. En théorie, les TDS ont la possibilité de se déclarer et de pratiquer leur activité dans la légalité (catégorie «autres services personnels /services des hôtesses, services des prostituées» dans la nomenclature des activités françaises recensées), afin de prétendre à une indemnisation lors d’un arrêt maladie. Mais Calvy, comme de nombreux TDS, juge la démarche trop dangereuse. «Depuis la loi de 2016, si je me déclare comme TDS, mon compagnon peut être considéré comme un proxénète, de même que mon loueur», craint le Niortais. Et Thierry Schaffauser d’abonder – même s’il est déclaré : «Pourquoi payer 25 % de cotisations tous les mois si ça va me créer des problèmes ? On est dans un système qui n’encourage pas vraiment à entrer dans l’économie formelle.» Parmi les TDS, il ne faut également pas oublier les migrants, pour qui la déclaration est impossible.

Trouver des solutions d’hébergement

Pour pallier le manque à gagner, les associations comme Act Up militent, a minima, pour le retour des tickets services à destination de cette population. «Les ministères du Logement et de la Santé les ont bien déployés durant le Covid-19», argue Eva Vocz. Mais le gros souci est aussi celui du logement. «Certains vivent dans des dortoirs, alors que le virus peut se transmettre par simple contact avec le linge», souligne la chargée de mission. Sans compter ceux qui s’installent à l’hôtel et qui ne peuvent payer la chambre que parce qu’ils ont des clients, et ceux déjà à la rue. «Le risque est que toutes ces personnes ne puissent pas s’isoler correctement. On souhaite que les plus précaires aient accès à des dispositifs d’hébergement.»

Reste que l’expression «personnes en situation de prostitution», utilisée par les autorités sanitaires, exclut de facto une partie des TDS. Outre les personnes qui acceptent des relations sexuelles tarifées, les acteurs pornographiques et les strip-teaseurs entrent aussi dans la catégorie des TDS. «C’est un terme, de base, utilisé par les abolitionnistes», regrette Eva Vocz, qui souhaite également ouvrir la vaccination aux personnes fréquentant les clubs libertins, même hétéros. Et de rappeler, à propos des populations à risques : «Ce n’est pas qu’une question de métier ou d’orientation sexuelle, mais bien une question de pratique.»

(1) Le prénom a été modifié.