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A l'étude

Un algorithme pour repérer la maltraitance envers les enfants testé à l’hôpital

Une équipe de chercheurs a passé au crible les dossiers d’enfants passés au CHU de Dijon pendant plus de dix ans pour alimenter une intelligence artificielle qui doit aider les praticiens à détecter les maltraitances qui ne sautent pas aux yeux.
La maltraitance est plus probable si les lésions constatées sont d’«âges différents», par exemple si l’enfant présente une fracture récente mais aussi des séquelles de fractures anciennes. (kajasja/Getty Images)
publié le 17 mai 2022 à 14h39

Alors que le signalement par le corps médical de violences détectées sur des patients demeure un sujet très sensible, une équipe de chercheurs vient de tester avec succès une solution technique. Selon une étude publiée ce mardi dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire de Santé publique France, un algorithme pourrait aider à repérer plus facilement les maltraitances envers les enfants lorsque ceux-ci sont hospitalisés. Testé sur les dossiers d’enfants de 0 à 5 ans étant passés au CHU de Dijon entre 2008 et 2019, cet outil d’intelligence artificielle pourrait permettre de «repérer une maltraitance qui ne saute pas aux yeux», et ainsi donner l’alerte, estime l’équipe d’épidémiologistes et de médecins légistes à la manœuvre.

Le dispositif repose sur l’utilisation du Programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI) des hôpitaux et cliniques, où sont recensées et codées les pathologies et lésions constatées sur chaque patient. Dans le cas de violences physiques sur de jeunes enfants, «les lésions ne sont pas toujours très spécifiques : ce peuvent être par exemple des ecchymoses qui ne vont pas forcément interpeller les professionnels», d’autant que les médecins urgentistes ne connaissent pas les antécédents du jeune patient, relève l’une des auteurs de l’étude, Catherine Quantin, épidémiologiste et biostatisticienne.

Or «si l’enfant est venu plusieurs fois à l’hôpital», et que le dispositif repère une répétition de «lésions un peu étranges», il peut donner l’alerte, ajoute Mélanie Loiseau, coautrice de l’étude et spécialiste en médecine légale. La maltraitance est plus probable si les lésions constatées sont d’«âges différents», par exemple si l’enfant présente une fracture récente mais aussi des séquelles de fractures anciennes.

Plus l’enfant est jeune, plus le résultat est fiable

Pour s’assurer de la pertinence de l’algorithme, une équipe de médecins légistes s’est penchée en détail sur les dossiers des 170 enfants «repérés» par l’intelligence artificielle, pour vérifier si effectivement on pouvait penser qu’ils avaient subi des violences. Les résultats se sont révélés fiables à environ 85 % dans les cas où l’algorithme avait identifié une «maltraitance hautement probable», et à 50 % dans le cas d’une «maltraitance suspectée». Plus l’enfant est jeune, plus le résultat est fiable, car «avant un an, le bébé reste dans son berceau, donc s’il est blessé, c’est qu’il ne s’est pas fait mal tout seul», résume Mélanie Loiseau.

Cette innovation peut être utile pour améliorer la perception statistique des violences physiques sur les enfants, mais aussi «d’un point de vue individuel» pour faire en sorte que les cas suspects soient «étudiés par des médecins qui ont l’habitude de la maltraitance», et faciliter ainsi les signalements à l’autorité judiciaire, selon la médecin. Jusqu’à présent, on estime que seuls 5 % de signalements pour maltraitance émanent du corps médical. Et ce alors même que le médecin est un des acteurs extérieurs à la famille que les enfants voient le plus dans leurs premières années.

Toutefois, avant d’imaginer voir ce nouvel outil déployé, l’équipe qui l’a développé estime qu’«une étude à plus grande échelle doit être réalisée pour confirmer ces observations, ainsi qu’une estimation de la sensibilité, afin de savoir s’il faut envisager des actions pour améliorer le recueil des données relatives à la maltraitance physique». Mais si «l’identification des cas suspects de maltraitance reste à affiner», l’outil semble déjà au point «pour les enfants de 1 mois à 1 an», estiment les auteurs de l’étude.