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Libération
Chronique «Aux petits soins»

«Une telle opportunité centrée sur la santé des femmes est à ne pas manquer» : l’Institut des cancers des femmes, nouvel espoir médical

Une nouvelle structure regroupant l’Institut Curie, l’université Paris Sciences & Lettres, ainsi que l’Inserm, vient d’ouvrir ses portes. Rencontre avec sa directrice, la professeure Anne Vincent-Salomon qui insiste sur la volonté de déclencher une dynamique pour révolutionner la prévention et le soin.
Chaque année, en France, ce sont près de 78 000 femmes qui sont touchées par les cancers féminins. (Peakstock /Science Photo Library. AFP)
publié le 1er juillet 2024 à 19h19

En ces temps bien gris, parler et discuter avec la professeure Anne Vincent-Salomon redonne un peu de couleur au monde de la santé et de la recherche. Voilà en effet une femme, au large sourire, la soixantaine, médecin, cancérologue, nommée en juin 2023 à la tête d’un hypothétique Institut des cancers des femmes. La semaine dernière, il a ouvert formellement ses portes, non seulement avec de l’argent, des projets et des équipes, Mais surtout, une forte envie d’avancer et de jouer collectif.

Anne Vincent-Salomon a donc la pêche. «Je suis en pleine forme», nous dit-elle. Et c’est une bonne nouvelle, car sur le front des cancers de la femme, au-delà là des annonces, régulières et souvent bien spectaculaires, sur l’arrivée de nouveaux traitements, des obstacles solides demeurent. Mais aussi des interrogations et des impasses. «D’abord, il faut se battre ; on ne peut pas admettre les disparités d’accès aux soins qui demeurent voire qui grandissent. De même sur les innovations qui ne sont pas accessibles à tous», insiste la professeure Anne Vincent-Salomon. «Sur les cancers féminins, il y a une surmortalité dans le nord-est de l’Ile-de-France, mais aussi dans les Hauts-de-France. On veut comprendre pourquoi ? Or, il manque des données, la participation au dépistage du cancer du sein reste insuffisante. Les disparités viennent-elles d’un retard dans la prise en charge ? Ou bien y a-t-il des discontinuités ensuite ? Mais il y a aussi des différences génétiques que l’on ne saisit pas. Dans le cancer du sein, chez les femmes très jeunes, à peine 20 % ont une composante génétique. Comment expliquer les autres ?» Chaque année, en France, ce sont ainsi près de 78 000 femmes qui sont touchées par les cancers féminins. 20 000 d’entre elles en décèdent. «C’est beaucoup trop. Diminuer le nombre de décès liés aux cancers du sein et aux cancers gynécologiques est un enjeu de taille», commente Anne Vincent-Salomon.

Dans ce contexte, c’est assurément une très bonne idée des autorités que de créer un institut hospitalier universitaire, en regroupant ainsi des forces, hier éparses. Là, il s’agit d’un cocktail entre l’Institut Curie, l’université Paris Sciences & Lettres (PLS), mais aussi l’Inserm. Bref, du haut de gamme.

Bonne nouvelle : il y a de l’argent

Anne Vincent-Salomon était au départ anatomopathologiste, une spécialité médicale qui consiste à examiner les organes, les tissus ou les cellules, pour repérer et analyser des anomalies liées à une maladie. Elle a ensuite travaillé sur la génomie des cancers du seins, et maintenant à la tête de cet Institut des cancers de la femme. «Notre ambition est d’être le centre national de référence dédié aux cancers des femmes et d’enclencher une véritable dynamique au-delà même de notre IHU.»

Bonne nouvelle encore, il y a de l’argent. Un budget initial de 20 millions d’euros, financé dans le cadre du plan France 2030. Curie ajoute 10 millions d’euros. «Notre but ? Des découvertes en recherche fondamentale et clinique qui feront émerger l’innovation et révolutionneront la prévention et le soin.» Pas moins… «Il faut rêver, insiste notre chercheuse. Et c’est une nécessité. On ne peut pas continuer, par exemple, dans le cancer des ovaires, à ce que plus d’une femme sur deux en meurt dans les cinq ans.»

«Base de données» et «espace d’écoute»

Du travail, il y en a. Et d’abord, celui de mieux recueillir des données solides et utilisables. Pierre angulaire de ce nouvel institut, le Women’s Cancer Atlas sera la base pour la plupart des activités, de la recherche aux soins et à la formation. «Cet Atlas vise à être une base de données, multi-échelle (cellule, tissu, individu), multimodale (tenant compte de multiples paramètres moléculaires et cliniques) et longitudinale (à chaque étape du diagnostic, pendant ou après le traitement, lors des rechutes). Dans les dix prochaines années, cette base de données devrait inclure des échantillons de plus de 35 000 patientes atteintes de cancers du sein ou gynécologiques suivies à l’Institut Curie (incluant des données minimales) et près de 1 000 patientes avec des analyses très approfondies et complètes.»

A coté, est créé une structure originale, le Women’s Living Lab, où il s’agit de rassembler les expériences des patientes. «Ce lab sera un espace d’écoute, échange et incubateur d’idées.» Ses objectifs ? «Apporter des réponses personnelles. Ce lieu permettra la rencontre de publics variés : patientes, proches et soignants, mais aussi artistes, pouvoirs publics et entrepreneurs. Le lab a vocation à catalyser toutes les idées et en plus, il bénéficiera du soutien de l’université PSL et de l’incroyable diversité des sujets d’expertise de ses membres.»

Joli programme. «Voilà, c’est parti. Une telle opportunité centrée sur la santé des femmes est à ne pas manquer», insiste Anne Vincent-Salomon. «J’aime travailler et fédérer, nous dit-elle. Les plus beaux succès sont des succès collectifs.» Et de citer un exemple : «Regardez Coralie Chevallier, à l’Inserm, elle a fait un travail fantastique sur les réticences des vaccinations contre le papillomavirus des adolescentes. Avec cette recherche, on va pouvoir développer des stratégies de vaccination bien plus pertinentes.» Et construire un avenir un peu plus… rose.