Il fait beau mais le vent souffle sur le boulevard Victor-Hugo à Saint-Ouen. Et ça se ressent parfois dans les barnums installés pour la journée devant la grande mosquée, à l’angle de la rue des Docks. De temps à autre, une bourrasque vient secouer la tente d’accueil et menace d’embarquer avec elle toutes les fiches d’inscription à la vaccination contre le coronavirus. «C’est clair que le fait de vacciner en extérieur, ça peut compliquer les choses, mais on ne se pose pas la question», avoue Joël, l’un des médecins qui s’est déjà pris des trombes d’eau sur la tête lors de la première étape de cette opération, à Noisy-le-Sec. Ça ne s’invente pas.
Piloté par la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de Seine-Saint-Denis, ce centre de vaccination itinérant change tous les jours de quartier et chaque semaine de commune. Après Saint-Ouen, il s’installera à Bondy, puis Bagnolet, Sevran et Epinay. L’idée, c’est d’installer des équipes au pied des tours, dans les cités. Et de vacciner environ 200 personnes par jour, sans rendez-vous et sans autre critère que celui d’avoir plus de 18 ans. «On va chercher une population qui ne se serait pas forcément fait vacciner autrement, détaille Aurélie Combas-Richard, directrice générale de l’Assurance maladie dans le département. Ça peut paraître grandiloquent dit comme ça, mais c’est vraiment un très bel outil de cohésion sociale.»
Dans la queue, il y a des femmes, des hommes, des jeunes et des moins jeunes, de différentes classes sociales. Certains vivent dans les cités Victor-Hugo et Arago, juste à côté. D’autres travaillent dans le coin comme Anaëlle, 28 ans, dont les yeux bleus et les longs cheveux blonds détonnent à peine tant la population est mixte, aujourd’hui. La mairie, avec qui son entreprise a des liens, les a informés de la possibilité de se faire vacciner ici. «Je ne sais pas ce qu’en pensent les riverains, mais en tout cas on se sent bien accueillis, raconte-t-elle, entourée de ses deux collègues. C’est vraiment une très belle initiative, on a attendu deux heures, mais ça faisait des jours qu’on essayait de trouver un créneau sur Internet sans y arriver.»
«Ça nous rassure»
Derrière elle, Karim Bouamrane déboule avec quelques collaborateurs. Ni une, ni deux, le voici déjà à saluer tout le monde d’un petit coup de coude. Certains s’amusent à voir ce quadragénaire sympathique en costume leur demander si ça va. D’autres ont bien reconnu le maire PS de Saint-Ouen. «Monsieur et Madame Bounif, vous êtes venus finalement», lance l’édile à un couple ravi de le revoir. La veille, ils étaient passés dans le centre qui s’était installé en bas de chez eux mais n’avaient pas osé demander une dose. «On a hésité, le vaccin nous fait un peu peur, avoue Fatiha. Mais on s’est dit qu’on finirait bien par être obligés un jour ou l’autre donc aujourd’hui on fonce.» «Et puis le fait que ça ne soit pas loin de chez nous, qu’il y ait monsieur le maire, ça nous rassure», enchaîne Moustafa, son mari.
Heureusement, aussi, qu’il s’agit de doses Pfizer, parce qu’ils ne voulaient pas d’AstraZeneca, «à cause de ce que médias et politiques en disent». «Pfizer, c’est un peu devenu un mot magique pour ceux qui hésitent à se faire vacciner», souffle Aurélie Combas-Richard. Et puis, il y a la dynamique de l’opération, grandement facilitée par la mairie de Saint-Ouen. «Hier, à la cité Cordon, les gens nous regardaient de leur fenêtre, voyaient leurs voisins se faire vacciner, ça les a incités, poursuit la directrice. Aujourd’hui, on s’est mis devant la mosquée un jour de prière, c’est aussi une manière d’aller directement au contact des gens.»
Bouche-à-oreille
Dans la file d’attente, il y a effectivement beaucoup d’hommes avec des tapis de prière. «C’est l’imam qui nous a dit pendant le prêche de venir nous faire vacciner ici. Il a dit que ça pouvait sauver des vies, témoigne Abdelkader, 36 ans. J’avoue que sans ça, je n’aurais peut-être pas fait la démarche de me faire vacciner, ça avait l’air trop compliqué.» Ce père de famille y voit en plus l’assurance de pouvoir profiter de ses vacances d’été, et rêve de cette maison dans le Sud qu’il a déjà louée : «Je me rends compte que c’est un pas vers une vie plus normale.»
Des curieux débarquent, se mêlent aux fidèles et aux gens du quartier. La queue s’allonge progressivement. «Ce qui est magique, c’est qu’on a beau communiquer, c’est le bouche-à-oreille qui fonctionne le mieux», se réjouit le maire. C’est en tout cas comme ça que Selim, 36 ans, a été informé : par sa femme qui l’a su d’un voisin et a pu venir le matin. «Quand j’ai demandé à mon employeur si je pouvais prendre une pause pour venir ici, il m’a même encouragé, souffle le riverain derrière la belle barbe qui dépasse de son masque. Franchement c’est super qu’ils fassent ça, ça va enfin nous permettre de nous projeter.»
Au milieu de ses administrés, le maire de Saint-Ouen loue «le travail impeccable» de la CPAM et défend sa génération de quadras, arrivée à la gestion de la ville et du département, «qui voit la Seine-Saint-Denis comme une solution et non plus comme un problème». C’est un tel succès qu’il risque même d’y avoir quelques déçus. «C’est très gratifiant d’être ici parce que c’est autant une mission sociale que de santé», résume Joël, le médecin qui est venu donner un coup de main sur un jour de congé. Un engagement qui peut rassurer les primo-vaccinés pour leur seconde dose, ici même dans six semaines. Et la directrice de conclure : «Qu’il pleuve ou qu’il vente, on sera là !»
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