Un même vaccin, moins de produit et plus de doses. L’Agence européenne des médicaments (EMA) a autorisé vendredi une nouvelle technique d’injection du vaccin contre la variole du singe. Ce feu vert pourrait permettre de limiter les pénuries, alors que le vaccin Imvanex est le seul autorisé et que les stocks sont restreints. «Les autorités nationales peuvent décider, à titre de mesure temporaire, d’utiliser l’Imvanex en injection intradermique à une dose plus faible pour protéger les personnes à risque pendant l’épidémie actuelle de variole du singe, tant que l’approvisionnement en vaccin reste limité», a déclaré l’EMA. Et pour cause : contrairement à une injection sous-cutanée, la solution intradermique nécessite cinq fois moins de produit. La commissaire européenne Stella Kyriakides a donc souligné que cette autorisation était une décision «extrêmement importante car elle permet de vacciner cinq fois plus de personnes avec les stocks de vaccins dont nous disposons» actuellement.
Quelle différence entre une injection sous-cutanée et intradermique ?
Les pays européens peuvent désormais administrer le vaccin Imvanex (de son autre nom MVA) juste sous la couche supérieure de la peau (en intradermique) et non plus en profondeur (en sous-cutané) comme c’est le cas actuellement. Outre-Atlantique, les autorités sanitaires américaines ont autorisé début août ce nouveau mode d’injection contre la variole du singe. En France, la méthode n’est pas nouvelle et est déjà utilisée pour la vaccination antituberculeuse (BCG). «Grâce aux données immunologiques, on sait depuis longtemps qu’utiliser le vaccin par voie intradermique est intéressant car il permet de diminuer la quantité d’immunogènes tout en ayant une efficacité globalement similaire à la voie sous-cutanée», relève Jean-Daniel Lelièvre, chef du service de maladies infectieuses à l’hôpital Henri-Mondor à Créteil.
Reportage
«L’injection intradermique a été étudiée pour le vaccin contre la grippe, ajoute Odile Launay, infectiologue à l’hôpital Cochin à Paris. En 2011, Sanofi avait mis au point une aiguille spéciale pour l’administrer, mais le coût de ce système était finalement trop important, la commercialisation s’est donc arrêtée.» Dans des pays où l’accès à la vaccination est difficile, la vaccination par voie intradermique permet de pallier le manque de doses. Afin d’éradiquer la rage, le Cambodge, les Philippines, le Bangladesh ou encore la Côte d’Ivoire ont adopté depuis 2018 cette méthode, comme le rapporte une étude publiée en 2020 sur Science Direct.
L’efficacité du vaccin est-elle assurée ?
Dans le cadre de la lutte contre la variole du singe, et en s’appuyant sur les données d’un essai clinique de 2015 portant sur environ 500 personnes, l’EMA assure que «les personnes recevant le vaccin par voie intradermique ont reçu un cinquième (0,1 ml) de la dose sous-cutanée (0,5 ml) mais ont produit des niveaux d’anticorps similaires à ceux des personnes ayant reçu la dose sous-cutanée plus élevée». Mais «le niveau exact de protection et la durée de la protection conférée par les schémas vaccinaux sont inconnus», informe l’agence, qui avertit également d’un «risque plus élevé de réactions locales», telles que des rougeurs et un épaississement ou une décoloration de la peau après les injections moins profondes. Elle précise enfin que deux injections à quatre semaines sont nécessaires.
En France, ce délai, initialement de vingt-huit jours, est justement en suspens depuis début août. Le ministre de la Santé avait simplement évoqué son allongement pour les personnes non immunodéprimées. Pour Odile Launay, une différence de délai ne devrait pas remettre en cause l’efficacité du vaccin par voie intradermique. «Idéalement, ce serait bien de l’évaluer mais sur le principe, je ne vois pas d’inconvénients particuliers. En général, même quand on augmente la période entre deux vaccins, on augmente aussi la protection immunitaire, peu importe la méthode d’injection. Le principal problème, c’est que la protection est moindre entre les doses», souligne l’infectiologue de Cochin.
La France va-t-elle suivre ?
Reste que la France ne s’est même pas encore prononcée sur le sujet. Mais si l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ou la Haute Autorité de santé (HAS) délivraient un avis positif, le ministère de la Santé pourrait faire appliquer cette nouvelle consigne. Car si le cap des 50 000 vaccinés vient d’être franchi, la France reste encore loin des 37 000 vaccinations hebdomadaires demandées par des associations. Pour rappel, environ 250 000 personnes sont éligibles à la piqûre.
Reportage
«Au vu de la pénurie de vaccins, tout ce qui nous permettra de vacciner largement est une bonne chose. Ce qui est pertinent, c’est de vacciner à grande échelle. Les deux doses en intradermique sont aussi efficaces qu’en sous-cutanée, et en plus, on économise des doses», juge le chef du service de maladies infectieuses à Henri-Mondor. Une balance avantages-inconvénients doit impérativement être faite selon Odile Launay. «Tout dépend de l’état des stocks. Si ces derniers s’avèrent finalement suffisants, la solution sous-cutanée reste bien plus facile à mettre en place», estime la spécialiste. Alors que le ministère de la Santé ne communique que très peu sur les réserves en vaccin depuis le début de l’épidémie, une nouvelle encourageante a été donnée par Santé publique France vendredi. Plus de 100 000 doses ont d’ores et déjà été livrées dans les 188 centres dédiés.
Quelles sont les limites ?
L’inconvénient en effet, c’est que la vaccination par voie intradermique n’est pas maîtrisée par tous les soignants. L’EMA souligne elle-même l’importance d’administrer correctement les doses en intradermique, recommandant que seuls les professionnels de la santé expérimentés injectent le vaccin de cette manière. «Il faut une aiguille qui reste au niveau du derme. Ce n’est pas le même geste que lorsqu’on vaccine dans le muscle ou sous la peau, explique Odile Launay. Un geste plus subtil auquel les professionnels devront être formés si la France décidait de s’aligner sur l’autorisation européenne.