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Illicite

Vente d’alcool aux mineurs : près de 90 % des supermarchés enfreignent la loi

L’association Addictions France a mené des tests dans plusieurs enseignes à Nantes, Angers et Rennes, montrant que les vérifications auprès de clients de moins de 18 ans restent très rares.
Lors de tests réalisés par Addictions France, seuls 8 % des 90 établissements observés ont demandé une pièce d’identité pour vérifier l’âge des clients. (Christophe Simon/AFP)
publié le 3 juillet 2025 à 11h06

Près de neuf supermarchés sur dix enfreignent la loi en vendant de l’alcool aux mineurs, dénonce, au vu de tests menés à Nantes, Angers et Rennes, l’association Addictions France, qui réclame, jeudi 3 juillet, des «sanctions réellement dissuasives» et des contrôles fréquents par l’Etat. Sur 90 établissements des enseignes Auchan, Lidl, Leclerc, Diagonal, U Express, Intermarché, Carrefour (City, Market et Express), Monoprix, Franprix et G20 testés en avril et en mai, 86 % ont vendu de l’alcool à des mineurs, selon l’association. Contre 93 % lors d’une opération similaire en 2021.

«Malgré l’interdiction formelle de vente d’alcool aux mineurs et l’engagement de l’Etat à mieux la faire respecter, l’accès à l’alcool reste en 2025 très aisé pour les mineurs», a déploré auprès de l’AFP Myriam Savy, responsable du plaidoyer au sein d’Addictions France. Pour ces tests, des mineurs se sont rendus, accompagnés d’un huissier, dans des supermarchés dont une partie avaient «déjà fait l’objet de constatations». Seuls 8 % des établissements ont demandé une pièce d’identité pour vérifier l’âge des clients.

«Banalise la transgression de la loi»

Or l’article L.3342-1 du code de la santé publique précise que «la personne qui délivre la boisson exige du client qu’il établisse la preuve de sa majorité» via un «acte systématique», «non conditionné par le simple doute sur l’apparence physique du client», rappelle Addictions France. Ces achats tests «ont systématiquement été réalisés en pleine journée, en semaine», le plus souvent à des moments de «faible affluence, avec peu voire aucun client à la caisse», précise l’association pour battre en brèche par avance l’argument d’une «pression liée à l’affluence» pour justifier le non-contrôle de l’âge.

Dans le détail, sur les 25 magasins Carrefour testés, seuls deux ont refusé la vente, deux également chez les onze Lidl testés, comme au sein des sept magasins du groupe Coopérative U visités. Parmi les autres enseignes : un seul magasin Leclerc sur six a refusé la vente aux mineurs, un seul Intermarché sur sept, aucun Monoprix sur les six testés et aucun Auchan (sur deux). A l’été 2023, l’association avait testé en Loire-Atlantique 42 bars, cafés et points de restauration rapide en zones urbaines et rurales : un seul avait refusé la vente après vérification de l’âge du mineur.

Ses constatations en 2023-2024 ont donné lieu à l’ouverture de 37 procédures judiciaires dont les premières, «ne seront plaidées que le 9 décembre 2025», soit un délai de deux ans qui «renforce un sentiment d’impunité et banalise la transgression de la loi», juge Addictions France.

Demande de sanctions «réellement dissuasives»

Face à «l’inefficacité générale du dispositif réglementaire actuel» et de la Charte d’engagements responsables signée par la grande distribution (Carrefour, Auchan, Lidl, Monoprix…) en 2019, en partenariat avec la Fédération du commerce et de la distribution, l’association demande des contrôles aléatoires systématiques par l’Etat, et des sanctions «réellement dissuasives». Avec des amendes atteignant 2 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise si celui-ci est inférieur à 100 000 euros, et 10 % à partir de 500 000 euros – selon un régime de sanctions graduées rappelant ceux du droit de l’environnement ou de la concurrence.

Le recours aux sanctions administratives pourrait être systématisé, allant de l’avertissement à la suspension, voire au retrait de la licence par le préfet ou le maire après deux récidives. Et des moyens dédiés permettraient de juger ces délits sous six semaines. Car si vendre de l’alcool à un mineur est un délit passible d’une amende de 7 500 euros – le double en cas de récidive avant cinq ans –, aujourd’hui «les contrôles sont rares, les poursuites peu fréquentes et les condamnations à hauteur de la peine maximale quasiment inexistantes», affirme Addictions France.

En comparaison, en Suisse, qui allie prévention, contrôles aléatoires fréquents et sanctions dissuasives, 65 % des vendeurs ont contrôlé l’âge des acheteurs en 2023, contre 54 % en 2014, selon l’association. En juillet 2024, la cour d’appel de Pau a confirmé la condamnation de l’enseigne Lidl à 5 000 euros d’amende pour avoir vendu de l’alcool à un mineur de 16 ans, Kilian, qui s’était tué à Urrugne (Pyrénées-Atlantiques), le 8 mai 2021, en heurtant un pylône à scooter après avoir été percuté par un ami circulant, lui aussi alcoolisé, sur son scooter. Lidl s’est pourvu en cassation.