Menu
Libération
#MeToo

Violences sexuelles à l’hôpital : depuis la prise de parole de Karine Lacombe, les témoignages se multiplient

Violences sexuellesdossier
Depuis les accusations de l’infectiologue contre l’urgentiste Patrick Pelloux, d’autres signalements émergent dans le monde hospitalier. Il y perdure un climat propice aux violences sexistes et sexuelles, ainsi qu’une tradition d’omerta.
Karine Lacombe, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, le 10 novembre 2020. (Anne-Christine Poujoulat /AFP)
publié le 12 avril 2024 à 17h46

Une fois encore, il aura fallu le témoignage d’une personnalité médiatique pour que la parole sur les violences sexistes et sexuelles dans le milieu hospitalier soit entendue. Dans une enquête de Paris Match publiée mercredi, Karine Lacombe, cheffe de service hospitalier des maladies infectieuses à l’hôpital Saint-Antoine (Paris), a accusé le médiatique urgentiste Patrick Pelloux de «harcèlement sexuel et moral».

Dans son livre Les femmes sauveront l’hôpital (Stock, 2023), elle avait déjà décrit le «regard concupiscent, les mains baladeuses» et le «comportement empreint de domination» de ce médecin senior dont la réputation était déjà «bien établie». Sans citer de nom, à l’époque. Aujourd’hui identifié, Patrick Pelloux a assuré n’avoir «jamais agressé personne» mais reconnu avoir été «grivois» par le passé. Dans la foulée, le syndicat des internes des hôpitaux de Paris a lancé un appel à témoignages. Ils se multiplient déjà sur les réseaux sociaux, sous le hashtag #Metoohôpital.

Violences déjà dénoncées

«Depuis quarante-huit heures, les témoignages affluent», confirme Kahina Sadat, vice-présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine (Anemf). Ce n’est pas une surprise pour autant. Depuis plusieurs années déjà, les associations pointent ces violences. Dans une enquête de l’Anemf réalisée en 2021, 38,4 % des étudiantes en médecine disaient avoir subi du harcèlement sexuel pendant leurs stages hospitaliers, 49,7 % des «remarques sexistes», et 5,2 % des «gestes déplacés», entre mains aux fesses, attouchements et autres «gestes sexuels».

«On le dénonce depuis des années», souligne Pauline Bourdin, représentante de la Fnesi, le principal syndicat des étudiantes infirmières, qui avait aussi mené une enquête en 2022. Une aspirante infirmière sur six assurait avoir été victime d’agression sexuelle au cours de sa formation, essentiellement à l’hôpital. Les victimes décrivaient des «mains sur la cuisse», des «massages» ou «baisers» non désirés de collègues et maîtres de stage.

Mais la culture de l’hôpital entretient l’omerta. D’abord parce que la médecine souffre «d’une culture carabine» qui «banalise le sexe pendant les études» et «expose à un humour sexiste», décrit Florie Sullerot, présidente de l’Intersyndicale nationale des internes de médecine générale (Isnar-IMG). Exemple : dans certains internats, les étudiants mangent devant des fresques obscènes, pouvant représenter «jusqu’à des scènes de viol». Ce à quoi s’ajoute une forte hiérarchie, au-dessus de laquelle trônent bien souvent des hommes, malgré la féminisation de la profession. Et les affaires sont souvent couvertes.

Banalisation

Selon la journaliste Cécile Andrzejewski, autrice de Silence sous la blouse, le dévouement d’une partie du personnel pour leur patient n’aide pas à briser ce silence. «Il y a cette idée persistante que comme on s’occupe de la mort, de choses graves, il faudrait être libéré, sans tabou sur le corps, mais du coup c’est ‘no limit’», analyse aussi Delphine Giraud, coprésidente de l’Association nationale des sages-femmes orthogénistes (ANSFO).

Devant la vague de témoignages, le ministre de la Santé, Frédéric Valletoux, a promis ce vendredi sur X de réunir rapidement «associations, employeurs et professionnels» pour «travailler sur une réponse globale et ferme». Avec un commentaire attendu : «Le sexisme et les violences sexuelles n’ont pas leur place à l’hôpital.»

«L’hôpital est le reflet de la société» et les violences «s’y exercent comme ailleurs», souligne Rachel Bocher, psychiatre et présidente de l’intersyndicale de praticiens hospitaliers INPH. Elle assure ne pas recevoir à ce jour «de vague ou de montée des plaintes».