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Les 400 Culs

Danse avec les hormones

Sur les réseaux sociaux, on trouve souvent des récits d’actes absurdes supposément causés par la testostérone ou la sérotonine. Dans son livre «Mes hormones et moi, la chercheuse Franca Parianen met fin aux idées reçues sur leur rôle dans notre comportement.
«Personne n’est télécommandé pas ses hormones», explique la chercheuse France Parianen. (DR)
publié le 30 avril 2022 à 9h19

Dans Mes hormones et moi, un ouvrage drolatique écrit comme un sketch, Franca Parianen, chercheuse en neurosciences sociales à l’université d’Utrecht, résume les dernières trouvailles en matière d’endocrinologie. Il s’agit d’en finir avec les idées reçues : non, ce ne sont pas les hormones qui nous font faire des choses. Un homme peut baigner dans la testostérone sans avoir une seule pensée libidineuse. Un chat castré peut courir le guilledou. «Personne n’est télécommandé pas ses hormones», explique la chercheuse qui dénonce plusieurs idées reçues.

«S’accoupler, c’est formidable !»

La première est que si nous faisons une bêtise, c’est la faute aux hormones. Nous préférons souvent «externaliser nos responsabilités», se moque Parianen. Vous avez oublié le poulet sur le feu ? Reluqué les seins d’une collègue ? Craqué sur du chocolat ? Déclinant toute responsabilité, beaucoup de gens accusent leurs gonades. «Les hormones sont toujours une condition nécessaire, mais jamais suffisante, s’insurge la chercheuse. Une hormone ne contrôle rien par elle-même, elle pose les aiguillages quand vous souhaitez prendre une direction.» Exemple concret : si une opportunité d’accouplement se présente, l’information est transmise à l’hypothalamus qui «à son tour, charge les testicules et les ovaires de produire des hormones». L’hormone encourage : «S’accoupler, c’est formidable !» Mais si, entre-temps, vous avez laissé tomber le plan… il ne se passe rien.

A contrario, il peut très bien arriver qu’un individu s’ouvre brusquement à l’appel du désir sous la seule influence d’un réflexe conditionné. «Si votre chat, bien que castré, s’en va toujours batifoler, sachez qu’avant la visite chez le vétérinaire, vous aviez un matou sexuellement expérimenté. Merveilleux, non ? Chez l’homme aussi, un stimulus familier («C’est samedi !») peut réveiller la libido, même quand la testostérone a disparu.» Faut-il en déduire qu’il suffit d’une méthode Coué pour devenir sexuellement disponible, désirable et désirant·e ? Pas forcément. Contrairement à ce que certain·e·s psychologues affirment (Amy Cuddy, par exemple) il ne suffit pas d’adopter la «power posing» – mains sur les hanches telle Wonder Woman – pour être inondé·e de testostérone.

L’autre idée reçue est «que toutes les décisions issues des testicules sont mauvaises, sentimentales, trop sensibles, chichiteuses… On trouvera toujours quelqu’un pour affirmer qu’elles sont toutefois meilleures que celles provenant des ovaires». Dénonçant la diabolisation du désir, Franca Parianen explique que, dans les sociétés modernes (qui reposent sur l’idéal de l’individu responsable), il est bien vu de se mettre en scène comme quelqu’un qui garde le contrôle. Beaucoup de conducteurs affirment d’ailleurs «je freine» ou «j’accélère» alors qu’en réalité, c’est leur voiture qui freine ou accélère. Pour tout ce qui touche aux accidents de la vie, en revanche… Les «infortunes nous tombent dessus sans crier gare, totalement au-delà de notre zone d’influence». De façon similaire, certaines émotions semblent surgir de nulle part et sont mises à distance avec précaution. Parmi les mèmes (images virales) les plus populaires en ligne : «est-ce une carence en sérotonine, ou juste une dépression ?», «est-ce un surplus d’ocytocine ou juste une érection ?»

«Hormones, hormones partout»

Comme si les hormones n’avaient rien à voir avec nous, elles sont souvent comparées à des agents venus d’ailleurs, soit en trop, soit en insuffisance. On trouve ainsi sur Internet, quantité d’images humoristiques intitulées «Moi, mon cerveau et la dernière molécule de sérotonine», «Mes deux dernières molécules de sérotonine font de leur mieux», «Mon cerveau à la recherche de la sérotonine perdue» ou encore «quand ton cerveau produit de la sérotonine pour la première fois depuis des mois». Humour de millenials ? Bien qu’elle se veuille critique, Franca Parianen cède elle-même à la tentation d’assimiler ces hormones à des ressources précieuses : «A première vue, on en a suffisamment. Pourtant, quand on en a besoin, impossible de les trouver. Comme les décapsuleurs, les briquets ou les réponses du tac au tac.»

Il est parfois difficile, en lisant cet ouvrage, de faire la part des choses entre la science et l’imaginaire (peut-on d’ailleurs les séparer, la science n’étant, pour les anthropologues en tout cas, qu’une représentation du monde parmi d’autres). Les hormones s’y expriment et leurs dialogues s’entremêlent avec les explications de la chercheuse qui tente de faire passer le message : non, il ne suffit pas d’une hormone pour nous faire faire des choses, mais… sans les hormones, nous serions incapables de nous concentrer, de mémoriser, de désirer ou d’avoir des projets. On apprend au passage que la testostérone existe exactement sous la même forme chez l’anchois que chez l’humain et que les hormones de cheval peuvent inciter les têtards à se transformer en grenouilles… Et que, pendant la Seconde Guerre mondiale, les services secrets britanniques «envisagèrent d’introduire des hormones féminines dans un dessert de Hitler» pour modifier son comportement.

«Les testicules ont des cellules olfactives»

Sous l’influence d’œstrogènes, le Führer aurait-il choisi la paix ? Certainement pas, répond Parianen : «L’action des hormones est décidée par le cerveau sur lequel elles agissent.» Traduction : chaque personne réagit de façon différente aux hormones. Tout dépend de son âge, de son vécu, de ses buts. Une seule chose de sûre : connectant le corps et la tête, les hormones servent de transmetteurs dans tous les sens. Elles relient l’individu avec ce qui l’entoure : perturbations dans l’atmosphère, lever du soleil, changement de saisons. Elles se font les messagères chimiques de tous les cycles, internes ou externes, ovariens ou solaires. Comme les parfums, elles sont partout, s’introduisent jusque dans l’ADN… L’occasion pour Parianen d’évoquer en termes sibyllins quelques étranges découvertes. «On l’évoque rarement ouvertement mais les testicules recèlent un grand nombre de cellules olfactives. Ainsi, si ces cellules sentent l’odeur du bois de santal, elles enclenchent un processus de guérison. Une découverte que les laboratoires commencent tout juste à commercialiser.»

Mes hormones et moi, de Franca Parianen, Editions Humensciences, 2022.