Après avoir crispé le milieu universitaire avec ces propos sur l’«islamo-gauchisme», la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Frédérique Vidal, recentre le débat sur la précarité étudiante et plus particulièrement la précarité menstruelle. En déplacement à Poitiers après avoir reçu, début février, des courriers de la part d’étudiants locaux l’interpellant sur leurs difficultés au quotidien, elle a annoncé que les protections périodiques seront gratuites à la rentrée prochaine pour toutes les étudiant·e·s.
Dans les prochaines semaines, les résidences du Crous et les services de santé universitaires seront équipés de distributeurs de protections périodiques gratuites «respectueuses de l’environnement». «On vise 1 500 distributeurs et une gratuité totale à la rentrée», a-t-elle promis. Un objectif «ambitieux» mais réaliste, selon la ministre. Le coût de cette mesure que le gouvernement veut «pérenne» est estimé autour de 15 millions d’euros par an. Anna Prado de Oliveira, vice-président en charge de la lutte contre les discriminations à la Fage (Fédération des associations générales étudiantes), salue «une réelle victoire». A l’origine de cette mesure, une concertation a été menée entre la ministre et les organisations étudiantes représentatives, les parlementaires ou encore l’association Règles élémentaires. «Longtemps invisible, la précarité menstruelle étudiante est une injustice que nous ne pouvons plus tolérer», a commenté Emmanuel Macron sur Twitter en notant avoir été «sensibilisés et alertés par les associations».
«Une étudiante sur dix fabrique elle-même ses protections»
Cette annonce, qui s’inscrit dans le cadre de la lutte contre la précarité des jeunes, intervient après la publication début février d’une enquête relevant le fléau de la précarité menstruelle étudiante par la Fage, l’Association nationale des étudiants sages-femmes (ANESF) et l’Association fédérative des étudiant·e⋅s picto-charentais·e·s (Afep). Sur les plus de 6 500 étudiant·e·s interrogé·e·s, 13 % déclarent avoir déjà dû choisir entre acheter des protections hygiéniques et un autre produit de première nécessité. Plus largement, un tiers estime avoir besoin d’une aide pour s’en procurer. «Savoir qu’une étudiante sur dix fabrique elle-même ses protections périodiques faute d’avoir assez argent pour en acheter, qu’une sur vingt utilise du papier toilette, ça a été un réel choc», commentait Anna Prado de Oliveira.
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Pour la Fage, «là où on avait des inquiétudes le doute a été levé» notamment sur le fait de mettre à disposition des protections qui «respectent le corps de toutes les personnes menstruées.» Contacté par Libération, le ministère note que «c’est un point essentiel auquel on a fait très attention» sans détailler davantage. Quant à la question de la visibilité des distributeurs, ces derniers seront bien «installés dans les lieux de passage des étudiants», remarque le vice-président de la Fage. La fédération compte toutefois suivre de près la mise en place concrète de la mesure, «on fera attention à ce que nos limites soient respectées et que le tabou sur la précarité menstruelle soit vraiment levé».
Une campagne de communication est prévue autour de l’installation de ces distributeurs en lien avec «les associations étudiantes investies sur le sujet» comme l’ANESF «pour faire de la prévention», précise le ministère en remarquant l’efficacité de la prévention par les pairs. Si la Fage nous évoque dans un second temps de possibles «formation des professionnels des services de santé universitaires et du CROUS sur l’hygiène menstruelle, qui abordera aussi l’accueil des personnes transgenres qui ont leurs règles», le ministère nous indique «que c’est ce qu’il faut engager». Au-delà de la gratuité, «l’idée est de lever le tabou sur un phénomène naturel et peu abordé».
Un budget de cinq millions d’euros
Début février, la région Ile-de-France avait annoncé l’installation prochaine de distributeurs de protections gratuites bios dans les universités et résidences étudiantes. Une première à cette échelle dans le pays. Une annonce similaire avait été faite par le conseil régional pour les 465 lycées publics franciliens. En dehors de l’Ile-de-France, les étudiantes devaient compter que sur des initiatives locales, menées par les universités ou les étudiantes elles-mêmes. Lille organise des distributions gratuites, Rennes 2 a également installé des distributeurs tout comme la Sorbonne et les résidences Crous de Bretagne. Courant février, des distributeurs seront également mis en place à l’université de La Rochelle, grâce à l’initiative de deux étudiantes.
Le ministre de la Santé, Olivier Véran, et la ministre chargée de l’Egalité femmes hommes, Elisabeth Moreno, ont annoncé mi-décembre le déblocage de quatre millions d’euros supplémentaires dès 2021, portant à cinq millions d’euros le budget total consacré à cette lutte. Dans un communiqué, Elisabeth Moreno a réagi : «Il s’agit d’une mesure totalement inédite de solidarité à l’attention de notre jeunesse et pour laquelle le gouvernement est plus que jamais mobilisé.» Avec cette bonne nouvelle, la France avance dans la lutte contre la précarité menstruelle mais une haute marche reste encore à franchir pour parvenir au niveau des Ecossais, qui ont voté en novembre l’accès gratuit et universel aux protections périodiques.