Florian, un homme gay de 21 ans, vit dans la région lyonnaise. A bout, il a contacté l’association SOS Homophobie au cours de l’année dernière, pour se confier sur les violences et le harcèlement homophobe que lui fait subir son père depuis son coming out, il y a trois ans. L’homme est allé jusqu’à obliger son fils à regarder des films pornos hétéros en sa présence, pour savoir «s’il était capable de jouir devant des femmes nues». Rejeté et isolé, Florian, qui souffre d’anorexie, confie à l’association «se sentir impuissant» : porter plainte, ce serait risquer «la mort ou l’humiliation», explique-t-il. Partir, ce serait prendre le risque de se retrouver à la rue. Il ne sait à qui parler. D’ailleurs, ce coup de fil, il l’a passé depuis le placard de chez lui, pour ne pas que son père l’entende.
Comme Florian, les jeunes gens LGBT + ont été plus nombreux que les années précédentes à rapporter à SOS Homophobie les insultes, agressions et violences dont ils sont victimes de la part de leur famille ou de leur entourage proche. Pandémie oblige, la haine semble s’être déplacée au cours de l’année dernière, pour se manifester davantage dans le cercle familial et le voisinage. Selon le rapport annuel de l’association, publié ce lundi, à l’occasion de la journée mondiale contre les LGBTphobies, 13 % des actes LGBTphobes recensés au cours de l’année 2020 ont été commis dans le cadre familial, contre 10 % les années précédentes, soit 176 cas. Dans la grande majorité des cas (75 %), il s’agit de rejet à l’égard de jeunes gens, souvent âgés de moins de 25 ans. Viennent ensuite les insultes (47 %) et le harcèlement (38 %), commis dans près de la moitié des cas (45 %) par les parents. «Le contexte sanitaire a entraîné un huis clos entre les victimes et leurs agresseurs, souvent couplé à une dépendance financière et affective qui empêche le départ du domicile», analyse Nicolas Certes, coréférent du rapport au sein de SOS Homophobie. «La famille n’est pas un espace sûr», déplore-t-il.
Etre lesbienne, «c’est pire que le cancer»
«Les situations étaient pour la plupart déjà existantes. Cependant, le confinement, la proximité avec les membres de la famille, et pour certain·e·s, des perspectives d’avenir incertaines, ont sans doute été un élément déclencheur pour appeler à l’aide», note le rapport, qui observe qu’une fois sur dix, la victime est mineure. La famille est même devenue le premier lieu de manifestation de la haine lesbophobe et transphobe (20 % des témoignages dans ces deux catégories ont eu lieu dans le cadre familial, selon le rapport).
Les auteurs citent par exemple le témoignage accablant d’une jeune femme lesbienne agonie d’insultes par sa mère, qui lui répète pêle-mêle que «c’est contre-nature, c’est une honte, tu me dégoûtes sale pute, tu es malade, tu n’es plus ma fille, tu ne feras rien de ta vie connasse», allant jusqu’à lui asséner qu’«être lesbienne, c’est pire que le cancer». Cette violence lesbophobe peut aller jusqu’à l’expulsion du domicile familial, à l’image de ce qu’a subi Sonia, 20 ans, citée dans le rapport et mise à la porte après avoir évoqué son orientation sexuelle. «On te renie, tu n’es plus notre fille», s’est-elle entendue dire, selon son récit à l’association. «Le sentiment d’impunité associé au cercle privé, soustrait au regard de la société et souvent de la justice, semble exacerber les réactions et les expressions LGBTphobes», analyse SOS Homophobie.
Une baisse des plaintes en trompe-l’œil
Autre contexte ayant enregistré une hausse en 2020 : le voisinage, qui comprend 13 % des témoignages reçus, contre 8 % en 2019. Dans 83 % des cas, ce sont des hommes qui sont pris pour cible, majoritairement par des insultes (85 % des cas), du harcèlement (66 %) ou encore du rejet (53 %). Le nombre d’agressions physiques recensées est lui aussi en hausse : alors qu’en 2019, 16 % des violences avaient lieu dans le cadre du voisinage, en 2020, ce taux atteint 27 %. Ainsi, Giulia, une femme trans de 55 ans, a-t-elle confié avoir été violemment frappée par son voisin en mars 2020, jusqu’à causer chez elle une double fracture du tibia, et ce, après des mois d’insultes, menaces et vols. En revanche, tandis qu’on aurait pu penser que les confinements aggraveraient la violence en ligne, elle semble marquer le pas : en 2019, 31 % des cas rapportés s’étaient produits en ligne, contre 23 % en 2020.
Encourageant ? Pas franchement, relativise SOS Homophobie, qui note qu’Internet reste malgré tout le terreau le plus fertile à cette haine, toutes catégories confondues. Par ailleurs, pour David Malazoué, vice-président de SOS Homophobie, ce qui pourrait s’apparenter à une baisse est plutôt une diminution des signalements due à une forme de «lassitude» : «A force de signaler injures et menaces aux différentes plateformes et réseaux sociaux sans qu’il ne se passe rien, nombre de personnes LGBT + connaissent une forme de découragement», nuance-t-il. De la même manière, alors que le ministère de l’Intérieur a annoncé la semaine dernière une baisse de 15 % des injures et agressions homophobes ou transphobes en 2020, SOS Homophobie tient à relativiser : «D’une part, il est très difficile de se rendre au commissariat pour ce type de faits, parce que cela sous-entend de faire son coming out, et qu’on ne sait jamais comment on va être reçu. Les refus de plaintes sont encore fréquents. Et par ailleurs, très souvent, le caractère LGBTphobe des agressions n’est tout bonnement pas retenu», juge David Malazoué.
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Lucile Jomat, présidente de l’association, insiste sur la nécessité d’«engager des moyens financiers et humains», de renforcer la formation, notamment dans la fonction publique et l’enseignement, «pour que les mentalités évoluent», ainsi que de communiquer, à travers des campagnes de lutte contre les discriminations. Sur ce dernier point, le gouvernement, en collaboration avec Santé publique France, a justement lancé ce lundi une vaste campagne de communication contre l’intolérance, dans le cadre du plan d’action contre la haine LGBT dévoilé en octobre. Ce plan est «une lueur d’espoir», a salué SOS Homophobie au cours d’une conférence de presse, tout en assurant rester «vigilant quant à l’application de ces promesses».
Basé sur l’étude de 1 815 témoignages reçus via Internet, le chat ou la ligne d’écoute de SOS Homophobie (01 48 06 42 41) entre le 1er janvier et le 31 décembre, le rapport de SOS Homophobie, établi chaque année depuis 1997, n’a pas vocation à être exhaustif, mais permet de donner à voir la lugubre réalité de la haine à l’égard des personnes lesbiennes, gay, bi ou transgenres dans l’Hexagone.