Dans un appel, Libération demande aux pouvoirs publics et aux laboratoires de développer de vraies solutions pour que la contraception soit autant une affaire d’hommes que de femmes. Pour soutenir cet appel, signez la pétition sur Change.org et relayez la sur les réseaux sociaux avec le hashtag #ContraceptonsNous
Ils ont lancé une bouteille à la mer. Au printemps 1977, Pierre Colin et Claude Barillon écrivent dans les petites annonces du tout jeune quotidien Libération : «On est deux mecs intéressés par une discussion, la plus large possible, sur la perception que les mecs ont de leur propre corps. C’est un peu en réponse au collectif des femmes de Boston Notre corps, nous-mêmes. Il ne s’agit pas d’un projet bien défini. Mais d’une invitation qui figure dans ce livre et qui vaut peut-être le coup qu’on y réponde, histoire de voir ce qu’on pourrait changer du côté de la virilité obligatoire.»
#ContraceptonsNous @libe 🔥
— Guillaume Daudin (@GuillaumeDaudin) August 23, 2022
How it started How it’s going pic.twitter.com/NXLjGoR6hD
Ces quelques lignes marqueront le départ d’une première expérimentation par un groupe de six hommes parisiens d’un protocole expérimental de contraception masculine hormonale mis au point par l’endocrinologue-andrologue Jean-Claude Soufir. Un progestatif était alors administré par voie orale, accompagné par de la testostérone par voie cutanée, la prise orale étant trop dangereuse pour le foie. Ces premiers essais ont mené à la création de l’association l’Association pour la recherche et le développement de la contraception masculine (Ardecom), comme le relate le sociologue Daniel Welzer-Lang.
Quelques mois plus tard, en novembre, un lecteur, père de trois enfants, contait longuement dans Libé son expérience de la vasectomie sous le titre «Pour la première fois dans mon corps, un acte irréversible». Interdite par la loi de bioéthique de 1994, la stérilisation volontaire n’a été autorisée en France qu’en 2001. Une décennie après le vote de la loi Neuwirth légalisant la contraception, il dit «entendre pas mal de copines discuter de la merde de la contraception qu’elles subissent dans leurs corps» : «Faut penser à l’avaler tous les jours», «ça peut faire grossir», «maintenant on apprend que ça a des répercussions cardiaques.» Quant au stérilet, il «augmente considérablement la durée des règles». L’histoire d’une amie utilisant un diaphragme et obligée d’avorter – deux ans avant la loi Veil légalisant l’IVG – couplée à la crainte d’infliger ça à «une copine» feront office de déclencheur.
1980: la pilule contraceptive fait la une
En 1978, Libération se fait l’écho de la réhabilitation d’une petite gélule spermicide. Face aux risques de plus en plus documentés pour la santé des femmes (corrélation entre la probabilité du cancer du sein, troubles vasculaires et même troubles de la personnalité), la journaliste retrace : «Les mouvements de femmes ont insisté depuis quelques années, sur la nécessité de responsabiliser les hommes sur la contraception. Certaines féministes n’hésitent pas à prendre l’initiative d’acheter les fameux préservatifs masculins – la capote anglaise – et d’en imposer l’usage énergique.» Elle se fait l’écho de leurs interrogations : «Pourquoi la pilule masculine n’est-elle toujours pas au point !»
Deux ans plus tard, dans l’édition du 19-20 janvier 1980, le sujet fait la une. «Ils ont testé la pilule pour hommes», titre notre quotidien. Parmi eux, Colin, «deux mômes» au compteur, raconte la prise de la pilule «vite avalée» et la lotion qui «pue le camphre». «Pilules pour hommes» au stade expérimental, spray nasal en développement… Un autre article dresse le tableau de «méthodes contraceptives encore imparfaites», de ces «recherches [qui] ne se poursuivent néanmoins pas toujours très activement».
A lire aussi
Au milieu de ce dossier, l’Ardecom invite à rejoindre son action dans un encadré, disant être à la recherche de toutes les «informations sur la contraception masculine», assurant faire «se rencontrer les utilisateurs» de cette méthode expérimentale et appelle notamment à un «accès facile et légal» à la vasectomie. Il n’en fallait pas plus inciter de nombreux hommes en réflexion sur cette charge contraceptive à passer le pas et les contacter, leur adresse postale figurant dans cet ensemble. Parmi eux, Daniel Aptekier-Gielibter, actuel coprésident de l’association Ardecom. «Libération, qui était à l’époque le quotidien des marginalités, a fait un dossier sur Ardecom et la contraception masculine. Des dizaines et des dizaines d’hommes, dont moi, ont écrit à Ardecom pour leur dire que ça les intéressait. Ils se sont sentis un petit peu dépassés par cet afflux de courriers et ont eu la bonne idée de constituer des groupes par région», se souvient-il.
Mêmes enjeux, mêmes freins
Le groupe toulousain, dont faisait partie l’andrologue Roger Mieusset, alors étudiant en médecine «un peu plus écolo que les autres», planche sur une alternative. Les recherches sur la contraception thermique et le fameux slip chauffant se développent dans ce cadre, retrace Daniel Aptekier-Gielibter. Cette décentralisation et extension d’Ardecom sont même détaillées dans une tribune publiée le 7 mars 1980, toujours dans notre journal. Afin de réunir les «résultats des diverses expériences», l’association donne rendez-vous le samedi 8 mars au Pré-Saint-Gervais (Seine-Saint-Denis).
Peu avant l’explosion de l’épidémie de sida en France, ayant mis un coup d’arrêt à ces recherches, huit volontaires lyonnais de la pilule pour hommes dressaient le 1er mars 1982 un bilan un an après la première prise. «Aucun n’éprouve de malaises ou de modifications perceptibles de l’organisme. Certains se sont étoffés de deux ou quatre kilos», constate la correspondante. Il y a Jeff qui confie avoir «balisé» deux ou trois mois, cet anonyme qui «utilise ça pour séduire» ou encore Eric qui assure que cette expérience commune a permis aux hommes du groupe de «parler de [leurs] corps». La perception des femmes y est là aussi déjà abordée, entre encouragements et craintes d’une «reprise en mains du pouvoir masculin». De 1996 avec le développement de l’injection hormonale hebdomadaire, relaté dans le journal jusqu’à notre appel de mardi, il est frappant de constater les mêmes enjeux, freins, inquiétudes, impatiences, et de trouver dans nos archives la preuve d’un immobilisme certain.