La proposition de loi pour «démocratiser le sport en France», adoptée vendredi dernier en première lecture à l’Assemblée nationale, déçoit. Dans les rangs de l’opposition, qui a critiqué son «manque d’ambition», au sein de la majorité parlementaire, où des voix se sont inquiétées des graves difficultés rencontrées par les fédérations sportives depuis le début de la crise sanitaire, et du côté du mouvement sportif, notamment par la voix du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui s’est dit «incompris». Bref, c’est peu dire que le texte, dans les cartons gouvernementaux depuis trois ans, fait des insatisfaits dans sa version actuelle. Mécontents auxquels il faut désormais également ajouter les associations LGBTI.
«Sur le banc de touche»
Leurs représentants estiment en effet que l’inclusion des lesbiennes, gays, bis, trans et intersexes dans le sport a été mise «sur le banc de touche» (dixit un communiqué salé lundi). Comme ils l’écrivaient dans un courrier adressé à la ministre des Sports, Roxana Maracineanu, la semaine passée et publié par Libération, ils attendaient de cette proposition de loi «des dispositions législatives de lutte contre les discriminations envers les lesbiennes, les gays, les bis, les personnes trans et intersexes». Autrement dit, une loi qui permette de rendre le milieu sportif plus accueillant aux personnes LGBTI. Ce qui, à leurs yeux, n’est pas du tout la philosophie de la proposition de loi de la majorité présidentielle. Et ce alors même, que le plan national d’action gouvernemental pour les trois prochaines années, présenté en octobre par la ministre de l’Egalité et la diversité, Elisabeth Moreno, prévoit des mesures spécifiques d’inclusion et de lutte contre les discriminations anti-LGBTI dans les enceintes sportives.
Résultats : les associations exigent «au plus vite» un rendez-vous avec la ministre des Sports. «On demande des explications de la part Roxana Maracineanu et de son cabinet, mais aussi des moyens pour la formation et la sensibilisation au sein des fédérations et auprès des supporteurs, soulève Eric Arassus, le président de la Fédération sportive gay et lesbienne (FSGL), qui regroupe une soixantaine de clubs pour 8 000 adhérents. En off, la ministre s’est engagée à agir contre les LGBTphobies, mais en pratique, rien n’est fait.»
Harmonisation du Code du sport rejetée
L’ire des associations LGBTI, à la hauteur de leur déception, s’est cristallisée à la faveur des débats parlementaires. Portés par des élus LREM comme LFI, la plupart des quelques amendements prometteurs pour la lutte contre les LGBTphobies en milieu sportif ont été rejetés ou jugés irrecevables lors de l’examen en séance. C’est le cas d’amendements visant à faire entrer la répression de la haine et des discriminations anti-LGBT dans le Code du sport, à créer une peine complémentaire et «pédagogique», comme un stage de sensibilisation aux LGBTphobies dans une association pour un joueur ou supporteur contrevenant, mais encore visant à mettre en place de référents «inclusion» au sein de chaque fédération sportive ou à conditionner l’agrément ou la délégation de service public du ministère des Sports à la mise en place de plans de lutte contre les discriminations.
«Très franchement, on attendait au minimum l’harmonisation du Code du sport qui ne mentionne pas l’homophobie au même titre que le racisme ou la xénophobie à l’article 332-7. Cela aurait donné un signal encourageant après la crise des arrêts de match pour manifestations homophobes», commente le fondateur du collectif Rouge direct Julien Pontes. Contacté par Libération, le ministère des Sports réitère l’engagement de la ministre en matière de lutte contre l’homophobie quand la députée LREM Céline Calvez, rapporteuse du texte, dit regretter «l’irrecevabilité d’amendements tels que celui qui mettait au même rang les discriminations racistes, xénophobes et homophobes». «Il y a un autre véhicule majeur : le contrat de délégation issu du projet de loi confortant les principes républicains, dont l’objectif est d’obliger les délégations au respect des valeurs républicaines et à protéger l’intégrité des pratiquants. Cela conditionnera les financements de l’Etat», fait encore valoir le ministère.
«Je comprends la frustration des associations, et je la partage en partie, mais on peut aussi considérer les avancées obtenues comme la reconnaissance de la transidentité dans le milieu sportif, plaide, lui, le député LREM Raphaël Gérard. Il faut regarder l’ensemble de l’arsenal législatif : il y a des dispositions de la loi confortant les principes républicains qui conditionnent le financement des associations au respect des valeurs. On peut y mettre ce qu’on veut et pas sûr que ce soit suffisant, mais c’est un moyen de mettre les fédérations face à leur responsabilité.»
Tabou sur les terrains et dans les vestiaires
Car depuis la signature par une dizaine de fédérations de la charte contre l’homophobie dans le sport, en 2010, sous l’égide de Rama Yade, pas grand-chose de sérieux n’a été fait au sein des instances sportives. Certes, il y a bien eu une grande campagne de communication contre les discriminations il y a deux ans et demi, à l’initiative de la ministre des Sports de l’époque Laura Flessel, quelques mois après la tenue des Gay Games à Paris à l’été 2018. Mais, un an plus tard, la crise, ouverte par les arrêts de match à l’issue de manifestations d’homophobie dans les stades de foot ou dans le monde du rugby, n’a jamais été vraiment réglé favorablement - même si le ministère précise avoir mandaté un cabinet indépendant pour conduire un audit sur le sujet la semaine passée.
«Le constat, c’est dix ans d’inaction : une signature de charte n’est pas assez contraignante pour lutter contre les discriminations LGBTphobes, déplore encore l’ancien président du Paris foot gay Julien Pontes. L’opération brassard arc-en-ciel pour la journée mondiale de lutte contre les LGBTphobies en 2019 par exemple a été un flop.» Or, sur le terrain, dans les vestiaires, comme sur les bancs des supporteurs, l’homosexualité, la bisexualité ou la transidentité restent tabou, voire la cible de préjugés ou d’agressions, comme le relevait le dernier rapport de SOS Homophobie. Jusqu’à rendre inaccessible la pratique sportive aux personnes trans ou intersexes. Et rares sont les sportifs professionnels français, à l’image du danseur sur glace Guillaume Cizeron en mai dernier, à s’affirmer et faire œuvre de visibilité en sortant du placard.