Il a 17 ans lorsqu’il voit son premier cadavre. En 1901, Maurice Heine se rend – comme tout Paris – au musée Guimet qui expose en grande pompe des momies exhumées de leur nécropole. Elles viennent d’Antinoé, une cité antique édifiée au bord du Nil par l’empereur Hadrien, à l’endroit même où son amant, Antinoüs, se noya. Maurice Heine se confronte aux dépouilles noircies. La rumeur veut qu’une des momies soit celle de la courtisane Thaïs, convertie au christianisme par l’ascète Sérapion, lui aussi exposé. Mais la momie la plus attirante, c’est celle que la presse nomme «la porteuse de miroir» : morte vers l’âge de 16 ans, la jeune vierge est exposée nue dans une cage de verre. Elle porte un miroir devant le visage comme un masque. Lorsqu’il se penche sur la dépouille, Maurice Heine s’y voit-il reflété ? En secret, il écrit ses premiers poèmes sous un titre étrange : la Mort posthume. Autrement dit, «la mort après la mort», par allusion à ces défunts comme empêchés de disparaître, retenus de force dans un corps hurlant «la détresse des siècles», selon la presse.
Ces corps le fascinent, surtout ceux qui convulsent dans l’agonie. Il en fait la matière d’une quête qui l’amène à devenir le premier éditeur (sérieux) du marquis de Sade, un proche de Georges Bataille et l’auteur d’une œuvre crépusculaire, dont les éditions du Sandre livrent un aperçu fascinant. L’anthologie s’intitule