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Ukrainiens réfugiés en France: «Même si la guerre s’arrête demain, j’attendrai un peu avant de repartir»

Réfugiés ukrainiens en Francedossier
Sasha, Maryna et Oleysia font partie des 70 000 Ukrainiens arrivés en France depuis le début de la guerre. Leur installation s’est faite sans trop de heurts, grâce à une importante mobilisation citoyenne. Mais il leur faut enchaîner avec l’étape suivante : trouver un travail.
Sasha Morozova, 39 ans, est une pianiste et compositrice reconnue en Ukraine. Elle s’est réfugiée chez un ami en Haute-Savoie puis à Paris. (William Keo/Magnum Photos pour Libération)
publié le 24 mai 2022 à 7h50

Quand la guerre a éclaté en Ukraine, la France a immédiatement réagi. Des centaines de bénévoles se sont organisés pour convoyer les premiers réfugiés jusqu’ici. Une tâche laborieuse, car pour la plupart d’entre eux, le choix n’était pas évident : pas de grosse communauté implantée dans nos frontières et peu de liens entre les deux pays. Il a fallu convaincre les familles que des relais leur faciliteraient les choses une fois sur place. Trois mois plus tard, selon les chiffres de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii) publiés mercredi 27 avril, plus de 70 000 Ukrainiens ont pu trouver un abri dans l’Hexagone. Des chiffres assez proches des «50 000 à 100 000 personnes» envisagées par la cellule interministérielle de crise quelques jours après le début de la guerre. Pour la plupart, des femmes et des enfants, qui bénéficient d’un hébergement et peuvent travailler grâce au statut de «protection temporaire» rendu possible par l’Etat. Contrairement à la demande d’asile, cette disposition peut être accordée en quelques jours et renouvelée tous les six mois. «En ce moment, on accueille beaucoup de personnes qui veulent s’installer et chercher du travail, on a beaucoup moins d’urgences», observe Diana, bénévole dans un groupe WhatsApp d’aide aux réfugiés Ukrainiens.

Solidarité citoyenne

C’est le cas de Sasha Morozova, 39 ans. En Ukraine, c’était une compositrice et pianiste reconnue. Après un long périple en train à travers l’Europe, elle s’est réfugiée chez un ami à Messery, ville de Haute-Savoie près de la frontière suisse. Puis, grâce à la solidarité citoyenne, elle a trouvé un hébergement à Paris au sein d’une famille de musiciens. L’une des deux filles du couple lui prête sa chambre et elle peut s’entraîner sur le piano du foyer. Ils ne se connaissaient pas avant la guerre, mais partagent désormais le même quotidien.

Aujourd’hui, la pianiste espère reprendre les concerts en France. «Il faut que je joue, que je trouve des endroits pour faire des concerts. Si je reste à Paris, c’est plus facile pour moi que dans une autre ville. C’est comme à Kyiv : là-bas, je jouais dans les théâtres, dans les bars, un peu partout», assure-t-elle. Sasha Morozova observe la situation en Ukraine d’un œil distant. Même si certaines villes sont «libérées» de l’armée russe, il est trop tôt pour se projeter à nouveau. «Après le 24 février, je n’avais plus de plans. Je prévois de rentrer, mais je ne sais pas quand. Même si la guerre s’arrête demain, j’attendrai un peu avant de repartir en Ukraine. Les villes sont détruites, je ne saurais pas où jouer, ni quoi faire là-bas», explique la trentenaire.

«Je n’ai nulle part où aller en Ukraine»

En France, la plupart des réfugiés ukrainiens arrivés ces trois derniers mois ont trouvé un hébergement chez l’habitant sans trop de difficultés, et bénéficient de l’aide d’associations dans leurs démarches administratives. Une chaleur insoupçonnée pour Maryna, une jeune diplômée de psychologie originaire de Kyiv. «J’ai été très surprise par les Français. Ils sont incroyablement gentils et généreux, parfois c’est à en mettre les larmes aux yeux. Quand je cherchais un hébergement, j’ai mis une publication sur Facebook. Une famille m’a immédiatement proposé sa maison», explique-t-elle.

Mais, après quelques semaines d’installation, le plus difficile est à venir pour des milliers d’entre eux : il faut désormais trouver un travail. Sans ça, impossible de se projeter sur le long terme. Ils savent que la solidarité des bénévoles français ne durera qu’un temps et qu’il faudra trouver de quoi vivre. Ils n’envisagent pas, non plus, de profiter trop longtemps de la charité publique. Mais cette recherche laisse Maryna et Sasha dans un certain désarroi : elles ne parlent pas français et il n’y a pas tant de boulots à pourvoir. «Je prévois de rester en France au moins jusqu’en septembre. Mes documents sont valables jusqu’en octobre, mais je vais probablement demander un renouvellement», confie la première : «Je n’ai pas le choix, je n’ai nulle part où aller en Ukraine désormais…»

Drapeau ukrainien devant la tour Eiffel

Oleysia, 37 ans, violoniste professionnelle, recherche aussi un boulot «dans la musique». Peu importe lequel. «Je peux jouer dans un groupe, dans un restaurant, dans un orchestre…», glisse-t-elle. Elle en a besoin car elle prévoit de son côté de rester «longtemps» en France. Avec ses deux enfants et sa mère, ils ont fui jusqu’à Paris. Sur un selfie pris à leur arrivée, on voit les deux jeunes poser avec un drapeau ukrainien devant la tour Eiffel. Une façon de dire qu’ils y sont désormais chez eux.

«Notre ville, Kharkiv, continue d’être bombardée, une partie des rues sont encore minées…», regrette la mère de famille, qui n’imagine pas faire grandir ses enfants sereinement dans cet environnement. Ils sont inscrits à l’école en France et ont besoin de stabilité. Son mari, Andrey, est resté coincé dans leur ancienne vie, en Ukraine, où il se tient prêt à combattre. Dans un des derniers clichés qu’ils ont pris ensemble du temps où ils étaient réunis, ils posaient à Dubaï début 2022 avec leur fils de 7 ans, Gordey. Ils étaient invités à l’Exposition universelle. C’était avant la guerre, l’exil et la séparation. Ils souriaient. C’est le plus injuste, selon eux : devoir refaire sa vie quand la photo de famille n’est pas complète.