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Libération
Reportage

«Une forteresse, des remparts, des tours» : à Villeneuve-Loubet, le championnat du monde de sculptures de galets prend du galon

Dans les Alpes-Maritimes, locaux et touristes participent à ce Mondial depuis trente-deux ans, à la recherche de l’œuvre la plus belle, la plus haute, la plus originale. Avant que tout cela ne reparte à la mer.
A Villeneuve-Loubet, le Mondial a lieu depuis trente-deux ans,. Ici en 2010. (Grégoire Albertini/PHOTOPQR/Nice Matin/Max PPP)
par Mathilde Frénois, correspondante à Nice
publié le 8 août 2023 à 1h32

Deux malédictions ont perturbé le concours de la famille Fussambri. Une insolation et un parasol. La première a mis à plat les forces de la mère, Victoria, le second a détruit la tour du père, Fabrizio. Depuis 9 heures lundi 7 août, ces Suisses participent à la 32e édition du championnat du monde de châteaux de galets. Sur la plage de Villeneuve-Loubet (Alpes-Maritimes), 22 équipes s’affrontent. A la recherche du château «le plus beau, le plus haut».

L’exercice rappelle le boulot à Fabrizio. Il est dessinateur en bâtiment dans un bureau d’architecture en Suisse. Alors la famille prend la compétition «très au sérieux». Samedi, ils ont visité «exprès» les châteaux de Provence. Leur dévolu s’est jeté sur celui de Mouans-Sartoux. «C’est très rare en France d’avoir une base triangulaire, vend Victoria, une poche de glace encore en équilibre sur la nuque. On a pris des photos et des notes. On a fait un plan et on s’est renseigné sur l’histoire.» Fabrizio reconstruit le bâtiment, Victoria s’occupe de la déco, les enfants Federica et Marco rapportent les galets. Huit heures au soleil. Une règle : choisir des matériaux glanés sur la plage et construire avec du plâtre.

Le Colisée, Notre-Dame et le pont du Gard

Les galets sont mal aimés. Ils font «mal aux pieds» de Chantal, candidate du championnat. Ils subissent la rude concurrence du sable fin, selon Jérémy, un autre concurrent. «A Villeneuve-Loubet, on est fiers de nos galets, défend sous son chapeau de paille Florent Duchêne, en charge du développement à l’office du tourisme. Ils viennent avec des coups de mer, au gré des tempêtes et de la houle. On est dans du naturel.» Les cailloux n’ont pas le temps de se désagréger pour devenir sable. Gros et ingrats, ils retrouvent ici leur dignité. Tout à coup, on s’y intéresse. On se baisse et on attrape. On le presse et on le caresse. On l’observe. Il y a la pierre calcaire blanche, la pyrite rouge et la volcanique noire. «Tous les galets viennent de la montagne, se plaît à raconter Florent Duchêne. Ils sont charriés par les cours d’eau à caractère torrentiel. Ils sont façonnés par la nature. Ils ont une histoire.»

Des tintements aigus, un cri surpris. Tout le monde se retourne. La «construction de l’extrême» de Massimiliano est à terre. Sa tour «sans plâtre» est devenue tour de Pise. Et patatras. A 50 ans, ce bijoutier italien a pourtant dix-neuf années de concours et un titre de champion du monde au compteur. Grâce à une tortue «exceptionnelle car symétrique», se souvient-il. La tour la plus haute – et toujours debout – est fabriquée par les locaux de l’étape : Vincent et Mickaël, 35 et 32 ans, gendarme et pompier. 1,19 mètre de galets pour se placer grands favoris. Le duo a déjà été sacré champion du monde avec le Colisée, Notre-Dame et le pont du Gard. Des experts en la matière. Mais toujours le même conseil : une base solide, un galet propre et plat, une glacière garnie. Ils ne craignent ni la terrible insolation ni l’accident de parasol.

«Il faut que quelque chose nous tape dans l’œil»

Les quatre membres du jury déambulent sur les galets. Chaque année, des structures en 2D, plusieurs répliques du fort Boyard, des châteaux en pagaille. Celui de Jérémy a aussi «une forteresse, des remparts, des tours, des champs et des maisons». Gros boulot. Il faut saisir l’idée, parfois éthique et politique : une fleur pour lutter contre le cancer du sein, une orque qui sort d’un bassin pour reprendre sa liberté, la Coupe du monde féminine de foot pour la visibilité. Il faut aussi débusquer les petites tricheries : du carton planqué sous une arche, des tuteurs pas retirés, un ballon pour former une sphère, un gros caillou cueilli dans une jardinière. «On essaie d’être le plus objectif entre la difficulté de la construction, l’originalité et l’argumentaire, liste Jean-Jacques Benoît, élu à la ville et juré au concours. Il faut que quelque chose nous tape dans l’œil.» Les structures les plus impressionnantes l’emportent. La famille Fussambri se classe deuxième ex-aequo. Les experts Vincent et Mickaël conservent leur titre de champions du monde. «L’expo éphémère» de châteaux de galets est laissée pour la soirée, avant une inéluctable démolition. Les galets retournent à la plage et à la mer. Jérémy retourne à sa pelle et à son seau. Le sable, c’est quand même plus pratique pour construire des châteaux.