Menu
Libération
Viticulture

Vendanges précoces: «C’est beaucoup plus compliqué de trouver des travailleurs disponibles mi-août»

En raison de la chaleur et de la sécheresse, les vendanges ont débuté dès cette semaine dans le Bordelais. Les professionnels du secteur rencontrent des difficultés de recrutement, dans un contexte de pénurie de plus en plus forte de saisonniers.
Dans les vignobles bordelais le 18 août. (Sebastain Kahnert/dpa.. AFP)
par Eva Fonteneau, correspondante à Bordeaux
publié le 20 août 2022 à 18h30

Branle-bas de combat dans le vignoble bordelais. A cause des fortes chaleurs, couplées à une sécheresse inédite, le cycle de la vigne a été accéléré. Résultat, les vendanges ont commencé cette semaine, avec parfois jusqu’à une dizaine de jours d’avance. Parmi les plus précoces jamais enregistrées dans le département. Les blancs secs ont ouvert le bal mardi 16 août, suivi des crémants, mercredi. Côté main-d’œuvre, les vignerons, qui peinent déjà de plus en plus à recruter des saisonniers, s’adaptent tant bien que mal à cette nouvelle temporalité.

«Forcément, ça bouscule nos habitudes. Même si on essaie d’anticiper depuis le printemps, c’est beaucoup plus compliqué de trouver des travailleurs disponibles mi-août avec les vacances. Les autres années, on avait pas mal de retraités, ils sont très demandeurs pour bosser quelques journées en été. Mais avec le risque de canicule, on ne veut pas leur faire prendre de risque», confie Dominique Furlan, président de la cave Louis-Vallon, producteur de crémant du côté de Castillon-la-Bataille. Aux difficultés de recrutement, s’ajoute aussi la fatigue des vignerons qui avaient pour beaucoup pris l’habitude de souffler fin août en attendant les vendanges.

SMS aux anciens salariés, «dans l’espoir qu’ils reviennent»

Du côté de Saint-Emilion, Banton et Lauret – l’une des plus importantes entreprises de sous-traitance viticole – a pris les devants pour éviter de se retrouver le bec dans l’eau : «Cette année, il nous faut jusqu’à 1 000 salariés. En prévision de ces vendanges précoces, on a lancé notre campagne de communication bien plus tôt et envoyé des SMS à ceux qui avaient déjà bossé pour nous. Dans l’espoir qu’ils reviennent», rapporte la cogérante, Sophie Lauret, qui concède avoir de plus en plus de mal à recruter. Car mi-août, il faut aussi pouvoir gérer la question du transport et du logement, principaux freins pour les candidats. «On est encore en pleine saison, c’est presque impossible de leur trouver des places en camping. La plupart refusent de les accueillir : on ne mélange pas les touristes et les saisonniers…» se désole-t-elle. Août, c’est aussi l’un des moments de l’année où les locations sont les plus chères dans le département. De quoi rebuter les plus motivés qui n’ont pas envie de voir leurs salaires siphonnés par un loyer trop élevé.

Mais surtout, plus les années passent, moins les vignes attirent. Entre la pénibilité du travail, un salaire rarement au-dessus du smic et des vendanges toujours plus maigres et plus courtes, les saisonniers n’y trouvent plus leur compte. «Avant, l’ambiance festive et familiale suffisait à compenser le côté éprouvant. Les vendanges, c’était synonyme de grandes tablées, de soirées arrosées. Pour beaucoup c’était un rendez-vous à ne pas manquer. Il y avait sans doute aussi plus de tolérance et d’insouciance», se remémore Freddy Froissart, le patron de l’entreprise viticole Les Vignerons du 33. «Aujourd’hui, les plannings sont devenus irréguliers et cet esprit fête a presque disparu. Les châteaux ne s’embêtent plus à loger les gens sur leurs terrains car il y a plein de nouvelles normes, c’est coûteux et lourd d’un point de vue administratif. Et puis aussi, le vin se vend moins», analyse celui qui baigne dans le métier depuis plus de trente ans.

«J’ai toujours peur de manquer de personnel»

«Je me souviens d’une époque où les gens se bousculaient pour travailler dans les vignes. On faisait même le tri entre les CV. Depuis deux-trois ans, je passe des coups de fil, car j’ai toujours peur de manquer de personnel», abonde Paulin Calvet, à la tête du château Picque Caillou sous l’AOC Pessac-Léognan. S’il a la chance d’être situé à proximité du tramway – et donc d’être plus facile d’accès – Paulin Calvet ne s’en cache pas, comme beaucoup de ses homologues, il fait désormais de plus en plus appel à de la main-d’œuvre étrangère. Des Bulgares, des Portugais ou des Roumains essentiellement.

Dans ce nouveau paysage, marqué par une pénurie de plus en plus forte de saisonniers, les prestataires et leurs formules clefs en main sont de plus en plus prisés. Pour rendre le métier à nouveau attractif, ces derniers n’hésitent pas à mettre la main au portefeuille. Banton et Lauret par exemple, étudie la possibilité d’acquérir son propre parc immobilier. Même topo pour Freddy Froissart, qui constate que les saisonniers qu’il recrute abandonnent parfois au bout d’un ou deux jours, car ils vivent dans leurs camions et se font virer par les gendarmes. Son camping, «à bas prix et avec plus de confort», ne sera cependant «pas prêt avant deux ans». «Quand on fait un métier aussi difficile, on ne peut pas dormir dans une voiture ou une tente, ni payer des sommes indécentes pour se loger, défend le patron des Vignerons du 33. Notre seule porte de sortie, c’est de proposer de meilleures conditions de travail.»