Ils sont une dizaine autour d’une table, dans la cantine de l’école. Chaque mois, c’est là que se réunit le conseil de quartier de Gabriel-Péri, une zone résidentielle de Vénissieux. Dans cette banlieue populaire de la métropole de Lyon, quelques immeubles bas côtoient des rangées de pavillons coquets, desservis par une seule ligne de bus. Pas de piste cyclable alentours, il faut marcher vingt bonnes minutes pour rejoindre la gare de métro de Vénissieux, dix pour l’arrêt de tram le plus proche. Ici, les débats sur la fin du tout voiture pointent vite les progrès à faire en matière d’alternatives. «La ZFE, je ne sais pas ce que c’est», reconnaît l’une des déléguées du conseil attablé. Ses camarades traduisent le sigle, lui expliquent les enjeux que soulève l’actuelle instauration d’une «zone à faibles émissions». «C’est un beau projet qui peut aboutir, mais il conviendrait mieux à d’autres endroits qu’ici», estime une dame. Un autre délégué n’est pas d’accord : «Nos quartiers le méritent aussi, mais ça doit être adapté.»
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Après Paris, Strasbourg et Grenoble, la métropole lyonnaise est l’une des premières collectivités de France à avoir lancé sa ZFE. Depuis le 1er janvier 2020, les poids lourds et les utilitaires professionnels ayant des vignettes Crit’air 4 et 5 – puis 3 au 1er janvier – n’ont plus le droit d’accéder à un périmètre donné. Celui-ci comprend les villes de Lyon, Villeurbanne et Caluire-et-Cuire, une partie de Bron et de Vénissieux. Pour cette dernière commune, c’est le périphérique qui fait office de ligne de démarcation à l’est, excluant la majorité de son territoire de la ZFE. Or nombre de Vénissians travaillent de l’autre côté du périph. Et nombre d’habitants de la métropole mettent chaque matin le cap sur Vénissieux, où se trouvent d’importants lieux de travail tels Volvo Trucks, Carso, l’Urssaf, l’Afpa…
«Favoriser les modes doux de transports»
Dans le Grand Lyon, où l’on compte 1,9 voiture par ménage, les restrictions de circulation s’appliqueront dès 2022 aux véhicules particuliers non classés et Crit’air 5, soit environ 4 % de ceux circulant aujourd’hui. Cette interdiction, entérinée le 15 mars par la majorité métropolitaine de l’écologiste Bruno Bernard, s’étendra aux vignettes Crit’Air 4, 3 et 2 entre 2023 et 2026. Ainsi, dans cinq ans, près de trois quarts des voitures utilisées à ce jour ne pourront plus être admises dans ce secteur donné. «Nous sommes très attentifs à l’impact social de ce projet», souligne Pierre-Alain Millet, adjoint à la mairie PCF de Vénissieux et conseiller métropolitain. Favorable à une ZFE «construite avec les habitants» et «incitative à une évolution des mobilités», l’élu souhaite que les conseils de quartier de sa commune soient associés à la «grande concertation» lancée par l’exécutif métropolitain pour cinq mois, afin «d’alimenter le débat à partir d’un maximum de situations concrètes».
«C’est cela qui permettra de s’interroger sur le périmètre final et mieux dimensionner le volet des dérogations», considère Pierre-Alain Millet, qui préconise de former les délégués de quartier à la question, avec le soutien de la métropole. A Gabriel-Péri, le sujet ne laisse personne de marbre. «Ça va favoriser les modes doux de transport», se réjouit le président du conseil de quartier, Yannick Bustos, conseiller municipal Europe Ecologie-Les Verts. Lui se déplace «toujours à vélo» : «C’est bénéfique pour la santé et plus rapide, dit-il. Mais il y a la question de l’entretien à proposer : c’est quand on a un bon vélo qu’on a envie de le prendre.»
«Solutions pas adaptées aux artisans»
Face à lui, Kheira Dahmani fait la moue : «Ça ne me dit rien, ni le vélo ni la trottinette électrique.» Cette mère solo multiplie les trajets entre les différentes communes de l’agglomération. «Je dois encore rembourser le crédit de ma voiture, qui est Crit’air 2. Si demain, on m’interdit de la prendre, qui paiera le reste ?, interroge-t-elle. J’adorerais avoir une voiture hybride mais mes revenus ne sont pas suffisants.» Tous conviennent de la difficulté de s’y retrouver sans un coup de pouce financier : «On a essayé mais en tant que jeunes parents, c’est impossible de se passer de la voiture entre la crèche, l’école, les courses et le boulot, explique Farida Rebaia. On a regardé mais on est trop riches pour bénéficier des aides à la conversion et pas assez pour acheter du jour au lendemain deux voitures électriques.»
Pour épauler les entreprises concernées depuis déjà près de deux ans par les restrictions de circulation, la métropole a créé un guichet unique, auprès duquel les professionnels peuvent étudier le panel d’aides que la collectivité met à leur disposition. Elles vont de 300 euros pour un triporteur électrique à 13 000 euros pour un poids lourd à hydrogène et sont cumulables avec celles de l’Etat (bonus écologique et prime à la conversion). A ce jour, le dispositif lancé en 2019 a contribué à l’acquisition de 60 véhicules, pour près de 300 000 euros. Environ 80 demandes sont en cours d’instruction. De son côté, la Chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) du Rhône, qui représente près de 42 000 artisans, estime que 8 000 utilitaires ne peuvent plus circuler depuis janvier dans la ZFE.
Pourquoi un tel delta entre les besoins à couvrir et le chemin réalisé ? «Pour les véhicules électriques, gaz ou hydrogène purs, ceux que finance la métropole, les gammes sont très peu développées au niveau des utilitaires, certaines solutions ne sont pas adaptées aux artisans qui font beaucoup de kilomètres ou à ceux qui transportent de grosses charges, souligne Camille Pajot, conseillère mobilité à la CMA. Par contre, beaucoup d’artisans sont très intéressés par les hybrides, on espère que le dispositif va évoluer.» En attendant les résultats de la concertation en février, il sera prochainement élargi aux associations, oubliées de la réflexion initiale.