Et au milieu des huit minutes de silence, les cloches de l’église voisine se sont mises à sonner. Il est un peu plus de midi, ce dimanche 16 avril, lorsqu’une centaine de personnes, réunies dans le quartier du Camas à Marseille, rendent hommage aux huit victimes de la rue de Tivoli. «On est tous réunis dans la douleur, des gens que je ne connaissais pas sont venus me réconforter, cela fait chaud au cœur», témoigne Martine, la nièce d’Antonietta, qui habitait au premier étage de l’immeuble effondré et dont le compteur de gaz est au cœur des investigations. Les autres familles de victimes ne sont pas là, et lorsque Laurette, une habitante de la Canebière, s’étonne «que le maire ne soit pas là», elle s’entend répondre : «C’est normal, c’est une initiative citoyenne. »
Reportage
«Symboliquement, c’est fort, c’est important de se rassembler», confie un peu plus loin Olivier, 53 ans, tout de noir vêtu. «Je m’attendais à des prises de parole, à ce que les noms des victimes soient évoqués, qu’il y ait quelque chose après les minutes de silence, poursuit-il. Après, cela n’est pas un reproche.» Thibault, habitant du quartier de 18 ans, est venu avec une rose blanche. Les policiers municipaux ont fait chercher un sceau pour accueillir les bouquets. «C’est important de déposer une fleur, pas seulement d’être là, explique le jeune homme. C’est une manière de montrer aux familles qu’on pense à eux.»
«C’était le moment d’un premier hommage»
Chantal Roland, 70 ans, espère voir «des copains, des copines, être ensemble». «Ma fille était à l’école du quartier, alors cela remue», dit-elle. Lucile et Laura, jeunes psychomotriciennes venues aussi en voisine. «C’est dans cette dynamique de Marseille solidaire d’être ici, témoignent-elles les yeux rougis. C’est important dans ces événements un peu brutaux de se rassembler, d’apporter notre soutien moral. » Toutes deux ne connaissent pas l’association «Marseille en colère», née après le drame de la rue d’Aubagne en 2018 et qui est à l’origine du rassemblement. «On a découvert hier soir cet hommage via leur Facebook, on n’était pas au courant alors qu’on est quand même les premiers concernés», s’attriste un homme délogé à la suite de l’effondrement et contacté par téléphone. Il raconte les réactions à l’unisson sur le groupe WhatsApp qui réunit les personnes évacuées et préparent également un hommage aux victimes. Mais aussi l’envie de ne pas «polémiquer».
Présidente de «Marseille en colère», militante du mal-logement et candidate citoyenne aux dernières législatives, Kaouther Ben Mohamed tente de déminer les critiques qu’elle sent poindre ici et là : «Quand il y a un tremblement de terre en Haïti, on ne connaît pas les familles et on organise quand même des hommages et des collectes de vêtements. La solidarité n’a pas besoin d’autorisation.» «Il y a huit victimes, nous sommes à huit jours, on pense que c’était le moment d’un premier hommage, poursuit-elle. J’espère qu’il y en aura encore beaucoup d’autres et nous serons là aussi pour accompagner, écouter et y participer. Quand je vois le nombre d’habitants, cela veut dire que l’on répond à un besoin.»
«Elargir cet hommage»
«Oui, elle a une grande bouche et heureusement», souffle Sylvaine qui, après l’effondrement de la rue d’Aubagne, a dû quitter son logement en arrêté de péril pendant quatre mois. «Peu importe les causes de l’effondrement, il y a des délogés dont il va falloir s’occuper, continue-t-elle. Je sais ce qu’est de vivre à l’hôtel avec un enfant, et tous les gros dossiers ensuite à monter avec les avocats, l’assurance.» Dans l’assemblée, le sac en toile «Noailles en colère» de Gisèle, 69 ans, ne passe pas inaperçu. «Je voulais élargir cet hommage aux victimes qu’ont été celles de la rue d’Aubagne pour d’autres raisons, d’insalubrité et d’inconséquence des décideurs de l’époque, confie-t-elle. Je voulais le faire discrètement, juste en portant le sac.»
Après les minutes de silence, tout le monde s’attarde un peu avant de quitter les lieux. L’association a apporté quelques rafraîchissements et choses à grignoter. Quelques mots et dessins d’enfants sont accrochés sur la barrière de sécurité qui ferme le périmètre proche du drame. «Pour toujours dans nos cœurs, qu’ils reposent en paix. Courage !» signe «une Marseillaise» au dos d’une carte postale. Pendant ce temps, casque orange de sécurité sur la tête, une habitante délogée passe la barrière pour aller chercher des affaires avec un policier et un pompier. Le Camas reprend sa vie, entre scènes de la vie quotidienne, aller et venues de personnes délogées et policiers sécurisant encore les lieux.