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Libération
Reportage

A Strasbourg, le port cherche sa voie fluviale

Transition écologique : le temps des villes et des territoiresdossier
Comment gérer activité industrielle, transports, écologie et zones résidentielles ? C’est le défi qu’entend relever la ville alsacienne dans sa zone portuaire, où se développe de nombreux projets.
Au Port autonome de Strasbourg, en mars 2016. (Pascal Bastien/Divergence)
par Guillaume Krempp, correspondance à Strasbourg
publié le 22 septembre 2021 à 23h16

«Le port de Strasbourg a toujours été extrêmement urbain. Son site historique se situait au pied de la cathédrale. Ce n’est qu’au XXe siècle que le port est sorti de la ville. Et aujourd’hui, il se retrouve à nouveau en son cœur.» Directrice du développement pour le Port autonome de Strasbourg (PAS), Emilie Gravier doit adapter le deuxième port fluvial français à l’émergence de quatre nouveaux quartiers voisins dont l’ensemble forme la Zone d’aménagement concertée (ZAC) des Deux Rives : Citadelle, Starlette, Coop et Rives du Rhin. Ces programmes immobiliers permettront de construire plus de 4 000 logements.

Cette adaptation du PAS a déjà commencé autour de son nouveau siège. En 2018, le groupe a profondément rénové la rue du port du Rhin en anticipant l’arrivée de futurs habitants. La directrice de développement détaille : «A l’origine, c’était une voirie aux fonctions purement portuaires. Désormais, il y a des trottoirs larges et des pistes cyclables, les passages à niveau ont été sécurisés et les éclairages rénovés.»

Pour permettre la cohabitation des projets portuaires et urbains, Emilie Gravier tient aussi à rappeler les bénéfices du port pour les Strasbourgeois. Il y a tout d’abord les 10 000 emplois directs créés par les 500 entreprises implantées sur le territoire du PAS. Puis l’économie de camions que permet l’activité fluviale et ferroviaire du port autonome : «Grâce au PAS, c’est l’équivalent de 600 000 camions qui circulent par train ou par bateau. C’est autant de pollution atmosphérique en moins.» Il y a enfin l’apport énergétique du projet de réseau R-PAS : «Nous récupérons la chaleur de l’entreprise BluePaper pour alimenter le quartier Coop, l’école du port du Rhin et la clinique Rhéna.»

«Vitrine de notre modèle urbain»

De l’autre côté du bassin Vauban, qui longe le PAS, la presqu’île Citadelle accueillera bientôt 1 100 logements. Ici, la municipalité écologiste a lancé un appel à projets concrétisé cet été. Un biergarten a aussi permis à des milliers de Strasbourgeois de découvrir l’extension de leur ville en direction du Rhin. Samedi, Antoine Chaumeil, second lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt pour cette friche industrielle, préparait une balade pédagogique autour de la biodiversité. Au milieu des bâtiments abandonnés, comme l’ancien siège du Port autonome de Strasbourg, le jardiniste pointe du doigt ici une mésange, là un chardonneret élégant ou encore, entre les pavés, du millepertuis. Le diplômé du Museum d’histoire naturelle prépare ainsi la conception d’un futur parc naturel sur la pointe de la presqu’île.

Arrivée au pouvoir en juin 2020, la mairie écologiste a tenu à influencer le projet de ZAC des Deux Rives pour en faire «une vitrine de notre modèle urbain». Selon Suzanne Brolly, adjointe en charge de l’urbanisme, «une pause d’un an a été nécessaire pour améliorer le projet». L’élue pointe notamment le travail réalisé pour proposer plus de nature sur la presqu’île Citadelle ainsi que pour l’ensemble Starlette : «Le programme proposait des réserves foncières, nous allons en faire des espaces verts.»

L’urbanisation liée à la ZAC des Deux Rives a fait perdre 23 hectares de foncier au PAS. En 2011, la ville de Strasbourg avait promis une compensation au groupe. Mais l’entreprise portuaire n’a jamais vu la couleur des terres promises. Elle a donc dû développer une nouvelle zone portuaire à plus de 60 km de son siège, à Lauterbourg.

«Leviers de métropolisation»

L’arrivée des écologistes à Strasbourg a créé une autre gêne de taille pour le PAS. Car le groupe portuaire aurait volontiers bénéficié d’un accès routier supplémentaire depuis le Nord. L’adjointe en charge de l’urbanisme décrit la ferme opposition de la majorité à un tel projet : «Le passage de camions au milieu de forêts classées réserves nationales n’est pas concevable.» La mairie écolo préfère voir le PAS investir dans le transport ferroviaire. Ce que le groupe a déjà entamé, comme le détaille Emilie Gravier : «Nous avons mis à niveau notre gare ferroviaire et allongé de nouvelles voies ferrées. Des études ont été lancées pour construire un terminal ferroviaire qui permettra un report du routier vers le fret.»

Une nouvelle contrainte se concrétisera d’ici deux ans, avec l’arrivée des nouveaux habitants des quartiers de la ZAC des Deux Rives. Car le phénomène est connu. Il bénéficie même d’un néologisme : la «flurbanisation», «lorsque l’on prend le port dans son aspect pittoresque, mais tout en rejetant ses bateaux ou son activité industrielle», explique l’urbaniste et paysagiste Bruno Steiner.

Maître de conférences au département architecture de l’Insa Strasbourg, Bruno Steiner a participé à la rédaction de l’ouvrage De la ville-port à la métropole fluviale. Ce «portulan pour Strasbourg», commande de l’Eurométropole et du programme Popsu Métropoles en 2018, doit permettre de repérer «les interactions liant fonctions portuaires et urbaines comme de possibles leviers de métropolisation».

Autre coauteur du portulan strasbourgeois, Frédéric Rossano préfère relever les synergies entre les différents acteurs portuaires plutôt que de souligner les potentiels conflits de développement. Le paysagiste, maître de conférences à l’école d’architecture de Strasbourg (Ensas) et auteur du livre la Part de l’eau, estime que «l’écologie peut être un terrain de rencontres entre les entreprises et les habitants. La gestion des risques industriels sera meilleure dans une grande métropole que dans une petite commune. Il y a enfin un potentiel de mise en commun de services». Dernier symbole de cette coopération verte entre le PAS et la ville de Strasbourg : deux millions d’euros dépensés par les deux acteurs pour construire 1,6 km de pistes cyclables reliant le futur quartier Citadelle à la zone portuaire.

«Eviter la désertification industrielle»

Convaincu que «l’eau est présente dans le discours politique strasbourgeois sans porter toutes ses promesses», Bruno Steiner relève un autre potentiel service du port à la ville : «Les îlots de fraîcheur constitués par les zones aquatiques pourraient devenir des lieux de reconnexions. C’est un sujet dont le port est prêt à s’emparer.»

Après avoir enregistré une trentaine d’heures d’interviews avec une vingtaine d’acteurs intéressés par les questions portuaires, les urbanistes se montrent plutôt confiants dans la capacité du port à s’adapter au défi de l’urbanisation. Frédéric Rossano relève ainsi «que la plupart des ports sont clôturés comme de véritables forteresses, tandis que le port de Strasbourg est ouvert. Le PAS a conscience de devoir se faire mieux connaître et aimer des Strasbourgeois pour éviter la désertification industrielle». Pour Bruno Steiner, «face à son manque de foncier, coincé entre la ville et le Rhin, le PAS doit faire de sa position de port urbain une force d’attractivité pour les entreprises. C’est en valorisant ses richesses culturelles et environnementales qu’il pourra continuer à tenir fermement sa place au cœur de la métropole».