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Raout réflexif

Après les émeutes, un CNR en forme de thérapie collective à Matignon

Un Conseil national de la refondation «post-émeutes» se tient ce jeudi 5 octobre à Matignon pour tenter de poser un diagnostic sur les violences urbaines survenues fin juin. Des chercheurs y sont conviés, pour éclairer le gouvernement sur les réponses à y apporter.
A L'Haÿ-les-Roses, le 2 juillet 2023. (Denis Allard/Libération)
publié le 4 octobre 2023 à 22h01

Après les violentes émeutes déclenchées par la mort de Nahel à Nanterre, Emmanuel Macron avait promis depuis Vilnius «un travail en profondeur» pour en comprendre les causes et tirer les leçons nécessaires. «Les choses sont plus compliquées que les réflexes pavloviens voudraient le dire» et leur analyse requiert «humilité» et «détermination». Trois mois plus tard, le Conseil national de la refondation (CNR) qui se tient ce jeudi 5 octobre à Matignon doit tirer un premier bilan de ce brainstorming estival. Mais cette plénière, qui réunira «pour deux à trois heures» une centaine de personnes sous la houlette de la Première ministre Elisabeth Borne, tiendra sans doute plus de la thérapie de groupe que du séminaire de recherche, tant l’exécutif semble tétanisé par la réponse à apporter à ces violences qui ont reflué aussi soudainement qu’elles avaient éclaté.

Parmi les participants, a expliqué Matignon dans un brief presse mercredi, les ministres régaliens Darmanin et Dupond-Moretti (Intérieur et Justice), Sylvie Retailleau (Enseignement et Recherche), Sabrina Agresti-Roubache (Ville) et Charlotte Caubel (Enfance), des maires des communes touchées, des parlementaires, mais aussi des représentants syndicaux et patronaux, des magistrats, et des sociologues.

Mais tout cela fleure bon l’improvisation. «J’ai reçu une invitation mardi pour jeudi, j’ai d’abord cru que c’était une amende pour excès de vitesse ! Je ne sais pas quel est l’ordre du jour et si je dois préparer quelque chose», peste un universitaire. «J’ai répondu à l’expéditeur du mail pour savoir ce qu’on attendait de moi, pas de réponse. Je vais devoir amputer une demi-heure de mon cours, j’avoue que j’y vais plus par respect des institutions républicaines qu’autre chose», ajoute notre interlocuteur.

Point d’étape sur la reconstruction des bâtiments endommagés

Parmi les chercheurs invités à ce grand raout réflexif, les spécialistes des questions de police et de sécurité Fabien Jobard du Cesdip (Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales) et Anne Wuilleumier de l’Institut des hautes études du ministère de l’Intérieur (IHEMI) ou encore le sociologue Olivier Galland, du CNRS, spécialiste de la jeunesse.

Fin juillet, les ministères de l’Intérieur et de la Justice avaient commandé un rapport à l’Inspection générale de l’administration (IGA) et l’Inspection générale de la justice (IGJ) sur les «profils et motivations des délinquants interpellés à l’occasion de l’épisode de violences urbaines». Le rapport a été rendu fin août et les auteurs en présenteront les conclusions.

Un point d’étape sera fait aussi sur la reconstruction des bâtiments endommagés par les violences après la loi d’urgence adoptée en juillet pour accélérer les réparations et rouvrir au plus tôt les services publics. «Le souhait de la Première ministre est de présenter les conclusions du CNR et les propositions émanant des ministères à l’ensemble des 500 maires des communes touchées que le Président avait réunis en juillet à l’Elysée, histoire de boucler la boucle», explique-t-on dans son entourage. Pas de date pour cette séance de restitution ; en revanche, le prochain Comité interministériel des villes (CIV) se tiendra «d’ici la fin du mois d’octobre».

Multiplication des formats

Mardi, l’annonce du report de cette réunion interministérielle, initialement programmée au lundi 9 octobre, avait ulcéré les élus de banlieue. Et la tenue rivale du CNR jeté le trouble. CIV, CNR, pourquoi multiplier les formats, au risque de rendre illisible la réponse de l’exécutif ? Parce que «les enjeux des émeutes ne se résument pas aux enjeux des quartiers prioritaires, et les enjeux de ces quartiers ne se résument pas aux émeutes», a fait valoir un conseiller de Borne. Par exemple, les questions de mixité sociale sont «déjà instruites de longue date dans le cadre du CIV. A l’inverse, le rôle des réseaux sociaux dans la publicité et l’exacerbation des violences ne concernent pas seulement les quartiers, mais l’ensemble de la nation française». Soit.

«La conviction de la Première ministre, c’est que les émeutes interrogent la façon dont on vit ensemble et qu’on ne peut ramener les questions qu’elles posent, sur la brutalisation des relations sociales, la parentalité ou les relations avec la police, à la question des grands ensembles», appuie ce conseiller. A la recherche «d’éclairer» ces questions. Quant à l’expression «violences policières», elle n’a pas été prononcée. Le sera-t-elle par les chercheurs jeudi ? «La recherche en France est libre, répond l’universitaire, jusqu’à preuve du contraire.»