Il ne sera resté que cinq mois ministre de la Ville, et pas de manière continue : nommé le 2 avril 1992 dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy, Bernard Tapie doit démissionner le 23 mai après avoir été mis en examen pour «abus de biens sociaux» dans l’affaire Toshiba. Bénéficiant d’un non-lieu, il retrouve son poste fin décembre 1992 mais pas pour longtemps : en mars 1993, la gauche subit une défaite cuisante aux législatives. Pourtant, il est sans doute, avec Jean-Louis Borloo, le père de l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), celui qui aura le plus incarné aux yeux des Français la «politique de la ville», tant celle-ci, justement, a une dimension symbolique forte.
Disparition
«Il n’y a rien à dire sur l’action de Tapie parce qu’il n’a rien eu le temps de faire, mais le fait qu’il soit nommé à ce ministère renvoie à ce qu’est la politique de la ville à la française, c’est-à-dire une politique qui est essentiellement symbolique. Une politique, si on met à part l’Anru, qui a peu de moyens financiers, administratifs, mais qui est utilisée par les gouvernements pour théâtraliser, mettre en scène des initiatives qui vont marquer les esprits et fixer les grandes orientations», résume Renaud Epstein, professeur de sociologie politique à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, qui a publié notamment la Rénovation urbaine : démolition-reconstruction de l’Etat.
Parler à la banlieue
Quand Bernard Tapie, auréolé de son succès comme «raider» d’Adidas et tombeur du FN, est nommé par Pierre Bérégovoy, il hérite d’un ministère de plein exercice, qui a été occupé avant lui par Michel Delebarre. Premier titulaire du portefeuille, le maire de Dunkerque a le statut de ministre d’Etat et occupe la troisième place dans la hiérarchie gouvernementale. Dix ans après les émeutes de Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise, les socialistes revenus au pouvoir en 1988 ne veulent pas seulement montrer qu’ils se préoccupent de la «crise» des banlieues : cette question leur permet aussi de «reconstruire l’identité sociale du parti et de reconquérir leur électorat populaire», comme le note le sociologue Bruno Jobert dans un article paru en 1995 dans la Revue française de sciences politiques.
Sous l’impulsion de Michel Rocard, la politique de la ville sort de l’expérimentation et s’institutionnalise. 1991 marque un tournant, avec la loi d’orientation pour la ville (LOV), qui anticipe la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU) votée dix ans plus tard et l’introduction de la péréquation dans les dotations de l’Etat afin de mieux redistribuer la richesse entre communes, relève Renaud Epstein. Mais avec l’éviction de Rocard, plus rien ne s’oppose à l’entrée de Bernard Tapie au gouvernement, et on passe alors du «structurel à l’affichage». François Mitterrand n’hésite pas, convaincu que ce Titi parisien d’origine modeste, qui a réussi dans les affaires et le foot business saura parler à la banlieue.
«Coups de com»
La banlieue, le député des Bouches-du-Rhône la connaît pour y avoir grandi - au Bourget, en Seine-Saint-Denis - et il a déjà eu l’occasion de s’y illustrer. En avril 1991, il jette son dévolu sur la cité des Bosquets de Montfermeil, alors dirigée par le très droitier Pierre Bernard, condamné pour discrimination raciale pour avoir refusé l’inscription d’enfants étrangers à l’école. Faisant miroiter son carnet d’adresses, l’homme providentiel annonce la création d’une école de football, finance la participation de jeunes de la cité au marathon de New York et un voyage en Himalaya qui tourne mal. L’école ne verra jamais le jour mais 200 jeunes auront droit à des places pour voir l’Olympique de Marseille jouer dans la capitale. «Tapie fait des paillettes et s’en va. Nous, on reste après pour gérer les problèmes», résume un éducateur cité par le Monde.
De son passage au ministère, Renaud Epstein retient «deux coups de com» : Montfermeil, donc, ville de Seine-Saint-Denis qui sera, en 2005, le berceau des émeutes déclenchées par la mort de Zyed et Bouna, mais aussi sa volonté de «mobiliser les grandes entreprises dans les quartiers». A son arrivée au ministère, Bernard Tapie annonce la signature de conventions avec plusieurs grands groupes – Bouygues, la Générale des eaux, Dumez – qui doivent s’engager à investir dans un quartier en difficulté pour y financer des équipements ou y recruter des habitants, «dans une logique de mécénat». La première, avec Martin Bouygues, aurait dû être signée le 25 mai 1992, deux jours après sa démission, et concernait le quartier du Val-Fourré à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines. Dans un article publié le 27 mai 1992, le Monde critique «la légèreté du choix élyséen : confier une politique délicate à un homme d’aventure comme M. Tapie, c’était jouer avec les allumettes et prendre un risque considérable, non seulement pour le gouvernement et son chef, mais pour la crédibilité de l’action en faveur des villes et, finalement, pour les habitants de centaines de quartiers déshérités».
Edito