Au sujet du crack, l’Etat et la mairie de Paris sont – pour une fois – sur la même ligne. Le Premier ministre, Jean Castex, a répondu favorablement à la missive envoyée le 30 août par la maire de Paris, Anne Hidalgo, au sujet de la situation particulièrement préoccupante dans le nord-est de la capitale. «La création de nouveaux lieux dédiés à l’accueil et au repos sera soutenue par les services de l’Etat», sous réserve d’une offre et d’une localisation adaptées, écrit le Premier ministre dans un courrier que s’est procuré l’AFP ce mercredi.
Jean Castex entend ainsi «offrir aux consommateurs des lieux de repos et un parcours de sevrage de qualité» et poursuivre le déploiement de «l’offre de soins» dans le cadre du plan crack signé en 2019 entre l’Etat et la ville. Un discours qui détonne avec les déclarations récentes d’Emmanuel Macron autour des consommateurs «complices» et de la politique répressive en vigueur depuis l’arrivée de Gérald Darmanin à l’Intérieur.
S’il n’évoque pas explicitement l’aménagement de nouvelles salles de consommation à moindre risque (SCMR), sujet de crispation politique avec les riverains, les quatre nouveaux sites proposés fin août par Anne Hidalgo ont «vocation à s’inscrire dans le cadre expérimental offert par la loi du 24 janvier 2016, que le gouvernement prendra l’initiative de proroger» avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale présenté en Conseil des ministres le 6 octobre. Depuis la loi de 2016, l’expérimentation des SCMR est autorisée jusqu’en 2022 et a permis l’ouverture de deux structures de ce type à Strasbourg et à Paris.
Pas de salle rue Pelleport
Entre la ligne dure adoptée par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et celle du ministre de la Santé, Olivier Véran, dont le cabinet a jugé «positif» le bilan des deux structures, difficile d’y voir clair. Avec cette décision, Jean Castex tranche en faveur de la réduction des risques. Toutefois, le Premier ministre émet des réserves sur l’un de ces quatre nouveaux sites envisagés par la mairie. Eric Pliez, le maire du XXe arrondissement, doit s’expliquer ce mercredi soir avec les riverains à ce sujet, dont certains ont manifesté la semaine dernière pour rappeler leur opposition. «J’appelle d’ores et déjà votre attention sur la difficulté évidente que représenterait la création d’un tel équipement sur un site mitoyen d’une école élémentaire», souligne le Premier ministre. La volonté de la maire de Paris d’ouvrir un de ces «espaces intégrés de prise en charge» dans le XXe arrondissement, jusqu’ici peu concerné par le crack, a provoqué une levée de boucliers des riverains de la rue Pelleport, où ils ont identifié une maternelle vacante, entourée d’écoles et de crèches, comme le site choisi. Dans un courrier publié ce mercredi, la ville de Paris a annoncé avoir pris la décision de ne pas implanter de site rue Pelleport.
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Mardi, les députés Caroline Janvier (LREM) et Stéphane Viry (LR), chargés d’une mission sur le sujet, ont jugé les SMCR «utiles et efficaces», mais souligné qu’il fallait privilégier l’ouverture de nouvelles salles au niveau de quartiers où les consommateurs ont l’habitude de consommer dans la rue. Fait important, les deux parlementaires ont demandé à leurs collègues de «ne pas parler de salle de shoot, terme péjoratif pour les personnels du secteur mais aussi pour les usagers». Devant la commission des affaires sociales de l’Assemblée, les deux rapporteurs considèrent que le dispositif légal autorisant les SCMR «doit être maintenu, et qu’il est pertinent pour prendre en charge les usagers de crack». «Ces salles doivent être pérennisées mais pas généralisées», a défendu Caroline Janvier alors que le cadre expérimental qui autorise les SCMR depuis 2016 arrive à son terme en 2022. Début juin, le cabinet du ministre de la Santé, Olivier Véran, avait jugé «positif» le bilan des deux structures de ce genre testées à Paris et Strasbourg depuis 2016. Pour les rapporteurs, la possibilité d’ouvrir des espaces de consommation «au sein de certains Caarud», des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues, petites structures où la consommation est interdite, «doit être étudiée».
«Une bonne nouvelle»
Du côté de la mairie de Paris, on se félicite de la validation de sa stratégie par l’Etat. «C’est une bonne nouvelle : l’approche globale défendue par la ville, qui intègrera de façon pratique la consommation encadrée comme un outil d’accompagnement au sevrage, fait enfin l’objet d’un consensus politique. Le rapport de la mission flash sur le bilan des salles de consommation à moindre risque […] confirme de son côté l’efficacité de ses dispositifs.»
Dérivé de la cocaïne, très addictif et bon marché, le crack suscite de fortes tensions dans le nord-est parisien, où la consommation de rue engendre de fortes nuisances pour le voisinage. Mi-mai, préfecture et mairie s’étaient accordées pour regrouper les toxicomanes dans le nord des jardins d’Eole, site historique de consommation à la frontière des XVIIIe et XIXe arrondissements, afin de soulager les riverains du secteur voisin de Stalingrad. Finalement, à la fin du mois de juin, Anne Hidalgo avait décidé de mettre fin à cette situation provisoire en interdisant aux consommateurs de crack l’accès au parc, afin que les habitants en reprennent possession. Depuis, «les consommateurs et revendeurs de crack ont maintenu leur présence aux abords du site et les scènes de violence comme les nuisances à l’égard des riverains n’ont pas cessé», souligne Jean Castex. Si la ville se félicite que l’Etat s’engage avec elle sur ce projet sanitaire important, elle note toutefois «l’absence de toute solution immédiate pour garantir la sécurité du quotidien des habitants des XVIIIe et XIXe arrondissements et notamment de ceux résidant aux abords de la rue Riquet». Désormais, l’objectif pour la mairie de Paris va être d’affiner les localisations les mieux adaptées pour la création de ces futures unités thérapeutiques. La mairie du XXe arrondissement et la ville de Paris ont annoncé vouloir rechercher d’autres sites pour la prise en charge des consommateurs, en lien étroit avec les services de l’Etat, les associations et les riverains.