Des rapports de la Cour des comptes, on retient surtout les coups de règle sur les doigts : le Grand Paris Express dont les finances dérapent, Ile-de-France Mobilités qui peut mieux faire en matière de ponctualité, etc. Passer d’une logique de strict contrôle des comptes des entités publiques à une logique d’évaluation des politiques publiques, tel est le but de la convention de coopération signée mi-novembre entre la Chambre régionale des comptes (CRC) de la région (CRC-IDF) et l’Ecole d’urbanisme de Paris (EUP).
Conclue pour quatre ans, elle prévoit la mise en place de groupes de travail communs et de formations : une «fertilisation croisée», explique à Libération Pierre Moscovici, le Premier président de l’institution de la rue de Cambon, qui permettra à la juridiction francilienne de «recourir à l’expertise scientifique» de l’EUP et des laboratoires de recherche de l’université Paris-Est, et à ces derniers «de bénéficier de l’expérience et des connaissances» de la CRC, notamment en ce qui concerne la gouvernance des grands projets et les compétences respectives des acteurs territoriaux (collectivités territoriales, sociétés publiques locales, établissements…). Préfigurant ce partenariat, une journée d’étude a été organisée en juin sur le thème «Qui fait quoi dans la métropole du Grand Paris ?»
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Cette coopération s’inscrit dans le cadre d’une révision profonde des missions des juridictions financières : l’article 74 du projet de loi 3DS (Différenciation, Décentralisation, Déconcentration et Simplification de l’action publique locale), qui sera examiné par l’Assemblée nationale en décembre, prévoit que les chambres régionales puissent désormais «évaluer les politiques publiques territoriales, sur demande des régions ou départements». Et la Cour des comptes a adopté en février un plan stratégique afin d’être plus réactive et mobilisable par les citoyens. Est notamment prévu d’expérimenter «des contrôles d’initiative citoyenne» ou de créer des «audits flash» afin d’expertiser dans un laps de temps plus court le coût d’une mesure ou d’un projet d’équipement particulier.
Une «petite révolution» du côté académique
L’idée est de pouvoir «évaluer les dépenses publiques en temps réel» et ainsi «servir d’aide à la décision» plutôt que «d’arriver après-coup», une fois que les choses sont faites, décrypte Pierre Moscovici. De même, les compétences des CRC vont être étendues à la réalisation d’enquêtes thématiques sur l’emploi, le logement ou les transports à l’échelle d’un territoire. Pour ce faire, «les ressources allouées par la Cour à ces évaluations vont passer de 5 % à 20 %», a précisé le Premier président, mais à moyens constants. Et c’est là que le bât blesse. Car comment les chambres pourront-elles s’acquitter correctement de leur mission classique de contrôle de gestion des collectivités locales, syndicats, sociétés d’économie mixte ou Epic, si elles doivent en plus passer au crible leurs projets ? L’expérience montre que la décentralisation, en rapprochant le pouvoir des citoyens, augmente les risques de corruption des acteurs locaux. Il ne s’agirait pas de relâcher la surveillance de ces derniers.
Du côté académique, on salue cependant une «petite révolution». «L’implication des universitaires dans le champ des politiques publiques est peu courante en France», souligne le géographe Daniel Béhar, qui pilote la chaire «Aménager le Grand Paris» à l’Ecole d’urbanisme de Paris. Pour les étudiants, c’est «intéressant d’avoir ce point de vue sur l’économie de l’aménagement et sur la gouvernance» tandis que les magistrats pourront mieux comprendre «la complexité des effets territoriaux» induits par le projet de métro en rocade autour de Paris. «La loi sur le Grand Paris affirme que le métro va réduire les déséquilibres entre l’est et l’ouest de la région parisienne. Mais rien ne le garantit. Cela va peut-être réduire les déséquilibres sociaux en termes d’accès à l’emploi pour les habitants de la deuxième couronne mais les déséquilibres territoriaux risquent de perdurer», anticipe Daniel Béhar. Or le dernier rapport de la Cour des comptes consacré au Grand Paris Express s’est focalisé sur la «bonne allocation des crédits publics», sans prendre en compte cette réalité. Une étude de l’Atelier parisien d’urbanisme (Apur) a pourtant montré que 50 % des emplois nouveaux seront concentrés dans 11 quartiers situés «au nord d’une diagonale allant de Sèvres à Roissy», autrement dit à l’ouest de l’agglomération parisienne. Et la Société du Grand Paris (SGP), qui pilote le projet, n’est pas en mesure d’infléchir seule cette tendance «sans une régulation vigoureuse des marchés immobiliers», fait valoir le géographe, un contrôle qui ne peut venir que des efforts conjugués de l’Etat et des autorités territoriales.