«On n’a quand même pas de chance…» Au pied de la tour Eiffel, lundi matin de vacances scolaires, des visiteurs font la queue devant une entrée qui n’ouvrira pas. Le site historique français le plus célèbre au monde a été fermé après l’annonce par la CGT et Force ouvrière d’une grève reconductible, confirmée par un vote des salariés réunis en assemblée générale. Auprès de Libération, le délégué syndical CGT et représentant majoritaire des quelque 360 salariés de la Société d’exploitation de la tour Eiffel (Sete), Stéphane Dieu, affirme : «On revotera tous les matins en fonction de l’évolution des négociations.»
Mardi, mercredi puis ce jeudi 22 février, de nouveaux votes ont renouvelé le débrayage, après l’échec des discussions avec la mairie de Paris, alors que la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet s’est rendue dans la matinée auprès des grévistes.
Un modèle économique «intenable», la mairie de Paris répond
Les deux organisations représentatives du personnel du monument reprochent à la mairie de Paris, actionnaire majoritaire de Sete, une «recherche de rentabilité à tout prix et à court terme», et un modèle économique «devenu invivable à la suite de la période Covid, qui a amputé le monument de 120 millions de recettes issues de la billetterie». Les calculs municipaux seraient «trop ambitieux et intenables», avec une «sous-évaluation des budgets travaux», couplée à une «surévaluation des recettes», alors même que le monument serait «dans un état de dégradation avancé, au niveau de la rouille» selon la CGT. Les syndicats demandent donc à la ville d’être «raisonnable au niveau de ses exigences financières afin d’assurer la pérennité du monument et de l’entreprise qui le gère».
Sur franceinfo mercredi, le premier adjoint à la mairie de Paris Emmanuel Grégoire a pour sa part assuré que «jamais Paris ne manquera à son devoir de soutien de la Tour Eiffel», affirmant «entendre tout et n’importe quoi», et que la tour «est en très bon état». Il promet que la ville continuera «d’investir pour le rénover», mettant en avant «le dialogue social pour sortir de la situation» de blocage.
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Une précédente mobilisation sur le même thème avait déjà fait fermer le monument le 27 décembre, pour le centenaire de la mort de Gustave Eiffel. Lors d’un point presse tenu au pied de la tour lundi 19 février, Stéphane Dieu a affirmé que la gestion financière actuelle et future du site serait particulièrement inadaptée aux besoins en «investissements majeurs» qui attendent la Dame de fer dans les années à venir, notamment concernant les travaux de peinture et de restauration des ascenseurs.
Selon les responsables syndicaux, le coût des deux nouvelles campagnes de peinture – budgétisées à hauteur 50 millions d’euros à l’origine et en cours depuis 2019 – pourrait exploser dans les années à venir. Ainsi, «la première campagne de peinture coûte déjà 85 millions d’euros et on a fait à peine 30 % de la campagne de peinture», explique le technicien et représentant CGT Denis Vavassori au micro de BFM Paris Ile-de-France. Concernant le décapage de la peinture au plomb sur la tour, Stéphane Dieu, affirme que le chantier n’aurait pour l’instant permis de décaper que «3 % du monument». Les syndicats observent également «de nombreux points de corrosion visibles, symptômes d’une dégradation inquiétante».
Stéphane Dieu évoque par ailleurs le report de la rénovation des plus vieux ascenseurs de la tour, sur le pilier Est, qui pourrait occasionner «une augmentation des taux de panne, et donc une dégradation des conditions d’exploitation du site et d’accès aux visiteurs». Ce qui aurait pour conséquence, selon le représentant de la CGT, d’empêcher toute rénovation «avant au minimum une dizaine d’années».
Vers une augmentation du tarif d’entrée ?
De quoi entraîner des dépenses supplémentaires non anticipées par les budgets de la mairie de Paris. Selon Stéphane Dieu, la ville chercherait à «vider les caisses» de la société d’exploitation, en exigeant une «hausse exponentielle de la redevance que la Sete reverse à la mairie, de 8 à 50 millions d’euros par an», ce qui revient selon lui à imposer un «modèle ultra-tendu où 40 % du chiffre d’affaires brut part directement en redevance».
La mairie cherche également à augmenter le prix du billet pour visiter le monument. D’après le cégétiste, la mairie souhaiterait «augmenter les tarifs d’entrée de 20 %» à l’approche des Jeux olympiques de Paris 2024, période durant laquelle les syndicats menacent de «montrer [leur] désapprobation» si les négociations n’aboutissent pas. En 2017, le prix d’entrée était déjà passé de 17 à 25 euros.
Pour contrebalancer des coûts imprévus et leurs conséquences sur les tarifs, la CGT et FO réclament la création d’un «fonds de dotation spécial en prévision des dépenses colossales qui seront nécessaires dans les décennies à venir». Contacté par Libération, le président de la Sete et conseiller de Paris Jean-François Martins a fait savoir qu’il ne ferait «pas de déclaration publique», «afin de conduire le dialogue social sereinement». Egalement sollicitée, la mairie de Paris n’a pas répondu pour le moment.
«Si les salariés font grève, ce n’est pas pour rien»
Dans la file d’attente, peu après l’annonce de la fermeture de la tour Eiffel pour la journée, certains visiteurs s’agacent. «Ils auraient pu prévenir avant», s’emporte une femme en gros manteau de fourrure, qui se dit «du coin». Pourtant, dès dimanche, un message sur la plateforme de réservation de billets notifiait aux visiteurs un risque de grève.
Ce qui n’a pas empêché la famille Pisani, qui avait vu passer l’information, de malgré tout tenter sa chance. «On est en vacances à Paris pendant quatre jours, et c’était la matinée qu’on avait prévue pour monter sur la tour Eiffel», explique le père, Michaël, qui voulait montrer Paris d’en haut à ses deux enfants. Mais pour les Pisani, pas question de se plaindre. «Si les salariés font grève, ce n’est pas pour rien», pointe Michaël. «Nous, on a déjà fait Grévin, le Louvre… Ça ne va pas du tout gâcher les vacances, et on pourra revenir», sourit-il.
Mis à jour : jeudi 22 février à 10 h 30, avec le prolongement de la grève pour un quatrième jour consécutif.