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Libération
Privatisation de l'espace public

«Il y a la façade et la réalité» : les écologistes parisiens s’apprêtent à saisir la justice contre LVMH

Des élus verts ont déposé un recours auprès de la mairie de Paris pour exiger le retrait de la bâche en forme de malle qui recouvre la façade d’un immeuble appartenant au géant du luxe sur les Champs-Elysées, de la publicité déguisée à leurs yeux. Faute de réponse, ils s’apprêtent à saisir le tribunal administratif.
Le futur hôtel Louis Vuitton est provisoirement recouvert de plaques en aluminium rappelant les célèbres malles de la marque, afin de dissimuler les travaux en cours, sur l'avenue des Champs-Elysées, à Paris, en décembre 2023. (Nicolas Rongier /Hans Lucas. AFP)
publié le 25 décembre 2024 à 20h58

«Un nouvel épisode de la saga “LVMH fait main basse sur la ville”» ? C’est en ces termes qu’Emile Meunier avait interpellé le Conseil de Paris en février dernier, à propos de la structure métallique qui habille la façade d’un immeuble en travaux – lui donnant des airs de malle Louis Vuitton – appartenant au géant du luxe sur l’avenue la plus célèbre du monde. Pour l’élu écologiste, il ne s’agit pas d’une «enseigne temporaire» comme le soutient la mairie, mais d’une «publicité déguisée».

Avec ses collègues, Jérôme Gleizes et Laurent Sorel, ils ont adressé mi-décembre un recours gracieux à la maire socialiste Anne Hidalgo, aux côtés des associations SOS Paris et Résistance à l’agression publicitaire. Dans ce texte écrit par leur avocat, Me Valentin Güner, ils prévenaient que faute de réponse de la municipalité, ils saisiraient le juge administratif. Joint ce mercredi 25 décembre, à quelques jours du feu d’artifice sur l’Arc de triomphe qui devraient voir affluer plus d’un million de personnes, Emile Meunier, qui préside la commission urbanisme du Conseil de Paris, a confirmé son intention de «saisir le tribunal administratif en recours pour excès de pouvoir».

Classé monument historique, le grand bâtiment doit accueillir un nouveau magasin amiral du groupe de luxe ainsi qu’un hôtel, un spa, un restaurant et des galeries d’art. D’après les requérants, LVMH a déposé auprès de la ville en juin 2023 une demande «d’enseigne temporaire» pour y apposer une bâche le temps de réaliser les travaux. Sauf que, à en croire les déclarations faites à la presse par la mairie de Paris elle-même, la fausse façade est censée rester jusqu’en 2027, date de la fin des travaux.

«Squid Game»

Non seulement elle n’a donc rien de temporaire, mais elle relève en plus de la publicité déguisée : «Le choix des teintes claires et des matériaux (miroir) ainsi que la mise en place d’une signature lumineuse en soirée visent très nettement […] à attirer l’attention des passants et automobilistes de l’avenue des Champs-Elysées, non pas sur le projet de rénovation, mais exclusivement sur la marque Louis Vuitton en représentant son article le plus iconique», dit le recours. Du côté de la mairie, on fait valoir que cette bâche n’est pas considérée comme une publicité dans la mesure où le bâtiment appartient à LVMH. Et l’on rappelle que les architectes des bâtiments de France ont donné leur accord à sa mise en place.

L’emprise de la multinationale sur la capitale, où elle cumule déjà plus de 350 000 m², ajoutée à différentes opérations de privatisation de l’espace public, est un sujet majeur de frictions entre la majorité socialiste et les élus écologistes. Fondation Louis Vuitton empiétant sur le bois de Boulogne, installation d’une statue géante de l’artiste japonaise Yayoi Kusama accessoirisée de sacs Vuitton sur la placette au pied de la Samaritaine, dossier de l’Ecole polytechnique, privatisation du Pont-Neuf pour accueillir le premier défilé de Pharrell Williams, le tout culminant lors des Jeux olympiques où la malle Vuitton a crevé l’écran de la cérémonie d’ouverture retransmise en mondiovision… Normal, puisque LVMH était l’un des sponsors officiels des JO de Paris ? Il n’empêche : le 1er décembre, après Emily in Paris, Netflix a de nouveau privatisé les Champs-Elysées pour la promotion de la série Squid Game, une opération menée conjointement avec le comité des Champs-Elysées, qui regroupe tous les commerces de l’avenue, et dont le président n’est autre que Marc-Antoine Jamet, le secrétaire général du groupe LVMH. Les élus écologistes ont d’ailleurs écrit à Anne Hidalgo pour savoir combien avait rapporté à la ville cette opération promotionnelle.

«Opération financière intéressante»

«Là, on dit d’accord à une malle, mais demain, pourquoi le magasin Nike ne ferait pas une chaussure géante quand il voudra rénover sa vitrine ? Pourquoi Free ne ferait pas une box géante sur les Champs-Elysées ? Là, cela vous choquerait, mais quand c’est LVMH, cela passe», avait souligné Emile Meunier lors du Conseil de Paris, rappelant que le règlement local de publicité «interdit de monter une bâche publicitaire, sauf exception», et que «cela doit faire 50 % de la surface» et non un immeuble en entier. «Il n’y a pas un Conseil de Paris sans que nous ayons un échange sur LVMH», à croire «que vous avez, à l’endroit de cette marque, une rancœur particulière, je ne sais pas si c’est une déception de client», lui avait répondu Emmanuel Grégoire, alors premier adjoint en charge de l’urbanisme. Avant de défendre l’interprétation des services de l’urbanisme allant dans le sens d’une «enseigne temporaire immobilière» destinée à masquer, «pour une durée de plus de trois mois, des travaux publics». L’absence, dans le code de l’urbanisme, d’une borne temporelle maximale, explique-t-elle la divergence d’interprétation ?

Toujours est-il que sur ce dossier, la ville a reçu le soutien de la maire du VIIIe arrondissement, Jeanne d’Hauteserre. Lors de cette même séance du conseil municipal, l’élue de droite avait vanté une «opération financière intéressante pour le budget de la ville, puisque la taxation au titre de la publicité extérieure devrait rapporter 1,7 million d’euros». Mais pour Jérôme Gleizes, l’argument financier n’est pas suffisant, surtout au regard des retombées commerciales que tire LVMH de cette publicité géante. «Les socialistes jouent double jeu : il y a la façade et la réalité», dénonce l’élu écologiste auprès de Libé. Emile Meunier ne dit pas autre chose : «La publicité et la marchandisation de l’espace public demeurent un gros point de clivage avec nos amis socialistes, ça fera partie des sujets de la campagne 2026.»