«Brûler tout», «Fuck Bardella», «A mort les fachos», «Macron complice», «Baise le PS», «La jeunesse emmerde le Front national», «Voter Front populaire», mais aussi, en rouge, «Free Gaza», «Palestine», «Fuck Israël», «Fuck zionist» ou encore «Nique la Brav-M» et le classique «ACAB» (acronyme d’«All cops are bastards») : depuis la dissolution, la statue de la place de la République à Paris est devenue l’exutoire à toutes les colères et haines mêlées, de la peur de voir le Rassemblement national triompher dans les urnes dimanche à la détestation d’Israël ou de la police. Ainsi maculée de slogans violents, la statue des frères Morice (inaugurée en 1883) offre un triste spectacle à trois semaines des Jeux olympiques dans une capitale soucieuse de se faire belle pour accueillir le plus grand événement mondial – quitte à «nettoyer» aussi la ville de ses SDF et autres indésirables. D’ordinaire, le monument haut de dix mètres et flanqué de trois bronzes figurant la liberté, l’égalité et la fraternité, est nettoyé après chaque dégradation, mais «le dégraffitage complet de la statue de la République requiert l’utilisation d’une nacelle, ce qui nécessite d’une part un temps de programmation de l’intervention, et d’autre part l’absence de manifestation ou rassemblement sur la place», explique Antoine Guilloux, l’adjoint à la mairie de Paris chargé de la propreté.
Chasuble
«Elle le sera dès lundi», promet Ariel Weil, le maire PS de Paris Centre, habitué à gérer le nettoyage de la place, à cheval sur trois arrondissements parisiens. En effet, inutile de se décarcasser alors qu’un nouveau rassemblement est prévu dimanche, au soir du second tour des législatives. «Depuis le 7 Octobre, une vingtaine d’opérations de nettoyage ont été menées par les commandos de la fonctionnelle», comme les appelle le maire, les troupes d’élite de la propreté parisienne, fort de 300 agents, qui entrent en action sitôt les manifestations ou parades terminées (Nuit blanche, Fête de la musique, Marche des fiertés, etc.). «Ma doctrine, c’est qu’il faut nettoyer tout de suite, et porter plainte», ajoute le conseiller de Paris, bien que les condamnations soient rares. Il y a deux ans, la mairie de Paris a décidé de passer à l’offensive contre les tags et les stickers, dont le nettoyage (au moyen de jet d’eau à haute pression, de vapeur ou de brosse) coûte 8 millions d’euros par an, et finit par abîmer murs et monuments. Toutes les interventions ne sont pas pour autant nocives : mercredi, Extinction Rebellion a revêtu la Marianne d’une chasuble appelant à voter le 7 juillet, comme il l’avait déjà fait pour mobiliser sur la cause écologique.
L’outrage régulier fait à l’allégorie de la République est la «conséquence de choix urbanistiques» visant à faire de cette place centrale, transformée de fond en comble en 2013, une «grande agora pouvant accueillir encore plus de manifestations», relève Quentin Divernois, l’un des animateurs sur Twitter de la nébuleuse #SaccageParis – dont «Répu» est l’une des bêtes noires. Comme à la Bastille, dont la colonne a subi le même sort depuis le 9 juin, choix a été fait de supprimer le rond-point pour aménager une grande esplanade piétonne, ouverte à tous les usages (vélo, skate, marche), un espace public au plein sens du terme. Avec, trônant en son centre, la statue, désormais accessible sans garde-fou. Quand ils ont gagné le concours pour le réaménagement de la place en 2010, les architectes Pierre-Alain Trevélo et Antoine Viger-Kohler voulaient d’ailleurs «qu’on puisse s’asseoir sur les genoux de la République».
Dame de bronze
Critiquée pour sa minéralité et l’hécatombe végétale provoquée par les travaux (près de 40 arbres n’ont pas survécu), l’esplanade l’est aussi par les riverains pour être devenue le théâtre permanent de manifs ou sit-in, parfois pacifiques et mémorables (comme la grande marche du 11 janvier après l’attentat contre Charlie Hebdo ou lors de Nuit debout), mais pouvant aussi donner lieu à des affrontements violents avec la police (loi travail, réforme des retraites, etc). Tant et si bien que le café Fluctuat nec mergitur dont la terrasse s’étend devant le miroir d’eau peine à rester longtemps ouvert. «J’ai viré les bancs Mikado, tenté d’organiser des occupations positives de la place (brocantes, ludothèque), mais je n’arrive pas à sensibiliser la préfecture à la question du bruit, dont se plaignent les habitants, ni à protéger la statue des tags», admet Ariel Weil. Barrer l’accès à la statue serait un symbole désastreux, et il n’en est pas question. En revanche, «il faut arrêter de tolérer la culture politique de la casse et de la dégradation des biens publics lors des manifestations», estime le maire de Paris Centre. Qui souligne aussi le travail de Sisyphe réalisé par «nos agents publics, avec l’argent public» pour récurer la dame de bronze. Et invite les tagueurs à s’en souvenir quand leur prendra l’envie de se défouler sur cet emblème de la République.