La première fois qu’on a vu ces tours, on a été frappé de stupeur. Dix rondins de béton de quinze étages, qui élèvent dans le ciel de Créteil (Val-de-Marne) un profil étonnant, façonné par des balcons semblables à des feuilles. Certains parleront d’épis de maïs, d’autres d’artichauts allongés. En fait, ce sont des Choux. Ils constituent la réalisation la plus fameuse de l’architecte Gérard Grandval, dont on vient d’apprendre la mort à l’âge de 91 ans.
Gérard Grandval a 38 ans lorsque l’ensemble immobilier lui est commandé en 1968 dans le cadre du «Nouveau Créteil». Dans le même élan qui fit pousser des villes nouvelles dans toute la France, il s’agissait ici de faire entrer dans la modernité la toute nouvelle ville préfecture du Val-de-Marne (le département est créé un an plus tôt), alors que Créteil ressemble encore à un gros bourg agricole. Le programme doit d’ailleurs pousser dans l’ancienne plaine maraîchère de Pompadour, où l’on cultivait… des choux. Lesquels étaient notamment destinés à la Choucrouterie Benoist, la plus grande de la région parisienne, qui s’était installée là.
Ce n’est pourtant pas tant ce passé agricole qui a inspiré Gérard Grandval au moment de concevoir ses tours. Lui avait surtout à cœur «de rompre avec la banalité des grands ensembles» à une époque où «tout se ressemblait», comme il l’expliquait au Parisien en 2009. Ses fameux balcons n’avaient toutefois pas qu’une vocation esthétique : ils devaient aussi abriter du vent et des regards. «Je pensais qu’ils devaient être protégés des regards extérieurs, faute de quoi ils ne seraient pas utilisés, développait Gérard Grandval dans le même entretien. C’est comme cela que m’est venue l’idée de ces encorbellements en forme de pétale.»
«Y a pas plus cheum que vos balcons»
Jusqu’alors, le lauréat du Grand Prix de Rome en 1961 sur l’austère sujet «un monastère» s’était fait connaître pour ses chalets de montagne en forme de coquille. Un motif qu’il appliquera aussi à l’aménagement intérieur des bureaux parisiens de la marque Cacharel, dans les années 70. Les Choux, eux, sortent de terre entre 1970 et 1974. Ils sont loin de faire l’unanimité. Grandval se rappelle qu’ils sont alors un «objet de scandale». De son côté, le rappeur Rohff estime que «y a pas plus cheum que vos balcons» quand il évoque le quartier dans sa chanson intitulée 94.
Il n’empêche : les Choux deviennent les édifices les plus connus de Grandval. Ce sont aussi les bâtiments les plus célèbres de Créteil, immédiatement reconnaissables depuis l’A86 ou la fenêtre des trains au départ de la gare de Lyon. Et c’est là leur plus grande qualité. Alors que la grande majorité de la production de logements collectifs des années 60 et 70 peut se résumer à un empilement de cubes plus ou moins interchangeables, les Choux ont une gueule. En banlieue, ils sont très rares, ces immeubles à être dotés du pouvoir de signifier que l’on est ici et pas ailleurs. A Créteil et pas à Sarcelles, Gennevilliers, Montfermeil ou Vénissieux. Alors salut à l’architecte et merci pour Choux !