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Libération
Climat Libé Tour Bordeaux : analyse

Construire autrement, en ville comme à la campagne

Dans les années à venir, la loi climat et résilience et la réduction du périmètre du prêt à taux zéro inciteront les classes populaires à s’éloigner du modèle pavillonnaire. Objectifs : privilégier la rénovation et réinvestir les cœurs de bourg.
(Nicolas Ridou/Liberation)
publié le 8 février 2024 à 18h49
(mis à jour le 9 février 2024 à 15h53)

Qui l’aurait cru ? Le ZAN est entré dans le langage courant et, avec lui, l’aménagement du territoire sort du champ des spécialistes. Désormais, chacun a son avis sur les moyens de parvenir au «zéro artificialisation nette» d’ici 2050. La loi climat et résilience, promulguée en août 2021, a fixé un objectif intermédiaire : diviser par deux, d’ici 2031, le nombre d’hectares à urbaniser, par rapport à la décennie précédente.

Dans les sept ans qui viennent, «nous avons donc 100 000 ha pour répondre aux besoins de logements, de transition écologique, d’activité économique et de services publics», résume la Fondation pour la nature et l’homme (FNH) et la Fondation Abbé-Pierre (FAP), dans un rapport dévoilé à l’occasion du Climat Libé Tour à Bordeaux et qui sera publié en totalité en mars prochain. Ce qui suppose «d’optimiser l’usage des sols déjà artificialisés», de «hiérarchiser les nouveaux projets artificialisants en questionnant leur utilité», sans oublier de «les choisir dans une perspective de justice sociale et de réduction des inégalités». Vaste programme !

Les bénéfices du ZAN ne sont plus à démontrer : la préservation des terres agricoles, indispensable à la reconquête de notre souveraineté alimentaire, mais aussi l’incitation à inventer un nouveau modèle d’aménagement du territoire tournant le dos à des décennies d’étalement urbain, qui entraîne une dépendance à la voiture et des coûts résidentiels indirects importants pour les ménages. Un fardeau qui pèse d’abord sur les catégories populaires puisque «seuls 32 % des ouvriers du périurbain considèrent qu’ils ont le choix entre différents modes de transports, contre 46 % des cadres», rappelle l’étude de la FNH-FAP. Enfin, pour les collectivités territoriales aussi, l’étalement urbain coûte cher, et pas seulement à cause du coût d’entretien des réseaux. «Pour un territoire rural qui se périurbanise très vite, mettre en place des solutions de mobilité collective n’est pas une mince affaire. On nous a reproché de faire rouler des bus à vide, que cette mobilité était un gouffre financier, rappelle un cadre territorial d’une collectivité dans les Landes, cité par le rapport. Mais ce service est désormais plébiscité par les jeunes et tend à rentrer dans les pratiques de mobilité.»

Des classes populaires chassées des métropoles par la hausse des prix

Autant de raisons de saluer la mise en place du ZAN. Il a cependant un gros inconvénient. Ces vingt dernières années, l’achat d’un pavillon en périphérie des métropoles a été la principale voie d’accès à la propriété des classes populaires. «Le moteur de l’installation à la campagne c’est l’achat d’une maison. Le ZAN remet en cause le modèle de développement des communes rurales fondé sur l’habitat individuel et le foncier pas cher», rappelle le sociologue Eric Charmes dans un entretien publié sur le site de l’Association des maires ruraux de France.

Or les classes populaires ne se sont pas «étalées» par plaisir : elles ont été chassées des métropoles par la hausse des prix ! En France, les prix dans l’ancien ont augmenté de 140 % depuis 2000. A Bordeaux, ils ont été multipliés par 2,7, passant de 1 753 à 4 770 euros le mètre carré entre 2004 et 2018. Le politologue Jérôme Fourquet, qui s’est intéressé aux profils des «gilets jaunes» interpellés à Bordeaux lors des violents samedis de manifestation, avait relevé que l’écrasante majorité habitait dans des communes rurales ou périurbaines : Vayres, La Lande-de-Fronsac, Latresne ou Arès. «Dans cette région, et notamment dans le département de la Gironde, la polarisation est de plus en plus forte entre Bordeaux et son hinterland. Et si la capitale girondine a été l’un des lieux où le mouvement des gilets jaunes a le plus mobilisé, c’est parce que le phénomène de métropolisation y a pris depuis une quinzaine d’années une ampleur sans précédent», expliquait-il dans une note publiée par la Fondation Jean Jaurès. Ici, la fracture territoriale est venue redoubler la fracture sociale.

Or la loi de finances pour 2024 contient une autre «bombe sociale à retardement» : la réforme du prêt à taux zéro, accusé d’avoir favorisé l’étalement urbain et la construction pavillonnaire bon marché au détriment des logements anciens des centres bourgs, laissés vides – la France compte plus de 3,1 millions de logements vacants, principalement dans les zones en déprise démographique, selon l’Insee. A compter du 1er avril, les maisons individuelles neuves ne seront donc plus éligibles au PTZ, qui a pourtant permis à 3,6 millions de ménages modestes d’accéder à la propriété : il sera réservé aux logements neufs collectifs en zone tendue, et aux logements anciens nécessitant des travaux dans le reste du territoire. L’idée est d’inciter les ménages à rénover plutôt qu’à faire construire : c’est bon pour la planète et la démographie de petites villes qui se mourraient.

Réinvestir fortement dans le logement social

Est-ce à dire qu’il faut enterrer le ZAN et revenir, comme le réclame la filière du logement, sur la réforme du PTZ ? Non, car on peut construire autrement, même à la campagne. «L’enjeu c’est de faire de l’aménagement sur du parcellaire fragmenté, en cœur de bourg ou sur ses pourtours, alors qu’on a privilégié le foncier facile à aménager mais sans souci de cohérence paysagère et urbanistique», souligne Eric Charmes.

Pour unir écologie et social, le rapport suggère de réinvestir fortement dans le logement social, «un modèle de production de logements abordables qui répond à la fois aux enjeux de sobriété foncière et de réduction des inégalités sociales». De fait, 84 % des logements sociaux sont des logements collectifs, donc peu consommateurs d’espace. A condition de ne pas reproduire l’erreur des années 60, en édifiant des barres et des tours. Si les gens s’installent au vert, ce n’est pas pour vivre comme en ville, mais sans les avantages de la ville ! Surtout s’ils n’ont pas vraiment eu le choix que de s’exiler… Cette réserve mise à part, comme le dit Eric Charmes, «on peut espérer qu’avec ce débat, on va enfin arriver à faire de l’urbanisme et de l’habitat individuel de qualité, comme le font d’autres pays comme l’Allemagne».