Les fake news concernent aussi l’architecture. La preuve, la décision de la mairie de Paris d’abandonner le projet de pavillons semi-enterrés, à la toiture végétalisée, conçu par l’architecte Thomas Corbasson, de l’agence Chartier + Corbasson, après une campagne l’accusant, faussement selon lui, d’attenter à un platane centenaire. Une bataille féroce de communication, opposant la mairie de Paris à des associations de défense de l’environnement, relayées par des people sur Twitter, qui laisse un goût amer à ce pionnier des murs végétaux, dont toutes les réalisations témoignent de l’engagement écologique.
Emmanuel Grégoire a annoncé dimanche dans le Journal du dimanche l’abandon du projet d’aménagement des abords immédiats de la tour Eiffel, petite partie d’un plan plus vaste baptisé «One» et qui vise à créer une continuité paysagère du Trocadéro au Champ-de-Mars. Vous faites partie de l’équipe lauréate, menée par l’architecte paysagiste américaine Kathryn Gustafson, qui avait été désignée en mai 2019 pour mener à bien cette réalisation. Un projet, il faut le rappeler, qui avait été approuvé par un vote au Conseil de Paris. Pouvez-vous nous le décrire ?
Notre projet consistait à enlever les constructions moches, anarchiques, accumulées au fil du temps au pied de la tour Eiffel – cabanons, locaux techniques, bases de chantier – pour les remplacer par des pavillons enterrés ou semi-enterrés. Ce qu’on a appelé des «bagageries» – en réalité, des consignes et des cafés pour accueillir dignement les quelque 20 millions de touristes qui visitent le site chaque année.
Contrairement à ce qui a été affirmé, notre projet ne consistait pas du tout à bétoniser le site. Au contraire, il maintenait une stricte équivalence de surface entre les constructions démolies et les nouveaux pavillons. Et ces pavillons troglodytes, que certains ont comparé à des maisons de hobbit, on les recouvrait d’une couche végétale épaisse de 60 centimètres…
Mais ce projet supposait l’abattage d’un platane centenaire…
C’est faux ! Il n’a jamais été prévu de raser aucun arbre remarquable. Le pavillon de bagagerie ouest impliquait effectivement l’abattage d’un charme qui n’a rien de remarquable. Il y avait aussi une vingtaine d’arbres, sur un terrain à côté, mais ce ne sont pas des arbres remarquables, la plupart sont malades et la moitié a déjà été abattue sans que cela ne suscite de réaction.
Tribune
Donc, l’abattage du platane auquel s’est enchaîné Thomas Brail, du Groupe national de surveillance des arbres, c’est de l’intox ?
C’est de l’intox. Mais le journaliste Hugo Clément lui a apporté son soutien, un autre a montré des faux plans, qui ne sortaient pas de chez nous. A la suite de ça, les gens ont dit, et je les comprends, «mais c’est scandaleux, ces architectes qui veulent raser des arbres !» Simplement, ça a fait 76 000 vues, et moi je ne peux pas faire 76 000 vues !
On a rencontré les associations, on leur a dit que non seulement on ne voulait pas raser ce platane, mais que nous pensions que son système racinaire ne souffrirait pas car la première construction était à plus de 6 mètres de lui, et la première fondation (un micro-pieu de 20 centimètres de diamètre), à 8 mètres ! Soit au-delà de la réglementation qui prévoit 2 mètres de distance.
Et cela n’a pas suffi ?
Non, malgré les sondages racinaires qui ont été faits, et qui étaient censés déterminer si nous mettions en danger ce platane, il y a eu un nouveau buzz la semaine dernière sur Twitter, disant qu’on faisait des tranchées, qu’on était en train de tout bétonner, et la mairie a décidé d’abandonner le projet sans que les scans pourtant demandés par les associations aient rendu leur verdict.
Donc les associations sont de mauvaise foi ?
Oui, ce qui compte pour elles, c’est de faire du buzz. Et pour nous, c’est terrible de nous retrouver dans la peau des méchants architectes qui rasent des arbres. C’est injuste et c’est faux.
Interview
Injuste car votre agence est connue pour des projets qui se fondent dans l’environnement, en utilisant des procédés de végétalisation novateurs. Vous revendiquez d’ailleurs une «architecture de la disparition», qui s’efface au maximum au profit de son environnement, comme le montre le centre de formation de football d’Amiens ou, dans la même ville, l’extension de l’hôtel Bouctot-Vagniez.
Je ne suis pas de ce genre d’architectes qui cherchent à travailler à tout prix pour l’argent. Je suis enseignant, académicien, je participe à la réflexion sur l’architecture contemporaine et ce que nous cherchons à faire, c’est une architecture en lien immédiat avec le vivant. Il n’y a pas de bâtiments qui se posent dans un paysage : les deux doivent entrer en parfaite symbiose. Donc on a fait des recherches là-dessus, on a même déposé des brevets, c’est mon job, c’est ma passion et je me retrouve étiqueté comme le contraire. C’est super dur.
Avant l’été, quand on s’était parlé, vous aviez dit regretter que tous ceux qui avaient critiqué le projet, y compris des journalistes, ne s’étaient même pas donné la peine de regarder les plans, de l’étudier.
J’ai l’impression qu’il y a une source d’information qui prend le dessus sur les autres, c’est Twitter. Quelqu’un dit quelque chose, en quelques heures ça fait 100 000 vues et, si on veut réagir, on ne peut pas, la machine folle est lancée. Mon problème de base, c’est ça : une information non vérifiée qui a pris un tour hallucinant sur Twitter sans que personne n’arrive à la juguler.