Faible accessibilité des transports en commun, zones de travaux, rues pavées ou encore escaliers. A Paris, parcourir quelques kilomètres peut rapidement se transformer en course d’obstacles pour les personnes à mobilité réduite (PMR). Alors, la start-up française StreetCo vient de lancer l’application StreetNav dans la capitale. Un GPS collaboratif, qui entend faciliter les trajets des habitants et voyageurs.
Présentée comme «un mix entre Google Maps et Waze», l’application est déjà présente dans une vingtaine de villes françaises, à l’image de Brest, Tours ou Laval. Mais à l’heure où 15 millions de visiteurs sont attendus pour assister aux Jeux olympiques et paralympiques cet été, la ville de Paris a décidé de signer un accord avec StreetCo, afin de déployer l’outil dans la capitale.
Interview
Selon Arthur Alba, le cofondateur de StreetCo, il y aurait au total 20 millions de personnes à mobilité réduite en France, de manière temporaire ou permanente. «On pense souvent à des personnes en fauteuil roulant, par exemple. Mais ce n’est pas tout», rappelle-t-il. Personnes âgées, femmes enceintes, personnes transportant des poussettes ou même des voyageurs avec valises… «Tous ces chiffres mis bout à bout, ça fait environ 30 % de la population» qui peut avoir du mal à se déplacer, résume le fondateur.
Accessible gratuitement, StreetNav souhaite donc permettre de s’adapter «quelle que soit la mobilité». Une fois l’application téléchargée, l’utilisateur a le choix entre huit types de «profils» différents : piéton valide, marche difficile, femme enceinte, aveugle, fauteuil roulant, fauteuil électrique, poussette/valise et déficience visuelle. Comme sur Google Maps, l’utilisateur note ensuite sa destination, et se voit proposer plusieurs trajets possibles. «Une personne âgée par exemple ne va pas forcément avoir le même itinéraire qu’une personne en fauteuil», insiste le cofondateur de StreetCo, Arthur Alba, auprès de Libération.
Obstacles renseignés en temps réel
Au-delà des transports accessibles, l’application pointe avant tout les divers obstacles possibles. Des gênes temporaires comme des zones de travaux, des véhicules mal garés ou des encombrants, mais aussi permanentes comme des trottoirs étroits, de fortes pentes ou encore «une porte battante assez lourde» à l’entrée d’un établissement. Ces obstacles, eux, sont renseignés en temps réel par des utilisateurs de StreetCo, l’autre application de la société homonyme, qui alimente ensuite StreetNav. «On a séparé la partie “je veux aider” et “je veux être guidé”, parce qu’on s’est rendu compte que ce n’était pas forcément les mêmes communautés», détaille le cofondateur.
Grâce à cet aspect collaboratif, l’objectif est clair : cartographier, petit à petit, l’entièreté de la ville. En fonction des obstacles, StreetNav peut ensuite aller plus loin, et proposer un ou plusieurs trajets alternatifs aux personnes à mobilité réduite. «Ce sera souvent changer de trottoir, ou prendre une rue parallèle, plutôt que de rallonger le trajet de trois kilomètres par exemple», assure Arthur Alba. Et pour permettre une meilleure utilisation de l’application une fois les données collectées, StreetCo s’est associé à deux autres start-ups : N-Vibe et Audiosport, qui s’occupent davantage du calcul d’itinéraires et des questions d’accessibilité.
Décryptage
«C’est une bonne initiative», concède Sophie Crabette, secrétaire générale de l’Association des accidentés de la vie, qui explique avoir entendu parler de StreetNav grâce à certains adhérents. «Mais toutes ces applications, aussi supers soient-elles, montrent surtout qu’on a un vrai problème dans nos villes.» Et ce manque de mobilité est loin d’être sans conséquences, insiste-t-elle. «Avoir des villes accessibles, c’est garantir l’autonomie des personnes en situation de handicap. C’est le gage d’avoir une vie sociale, de pouvoir rechercher un emploi plus facilement… C’est juste primordial.»
Ce que Sophie Crabette espère désormais, c’est que «les villes s’attaquent aux problèmes à la racine». «Avec les JO, des progrès ont été faits. Mais on est encore loin du compte.» D’autant plus que «sincèrement, Paris n’est pas le pire. Dans certaines petites communes, l’accessibilité n’est même pas pensée», soupire la secrétaire générale.
Ce constat, Arthur Alba l’a fait en 2016, alors qu’il était encore étudiant. «J’ai eu un accident et je me suis retrouvé en béquilles pendant plusieurs mois à Paris. Là, j’ai découvert ma ville sous un autre jour : une ville pas assez accessible, se souvient-il. J’ai trouvé ça assez fou de me rendre compte qu’il n’y avait pas de solution, comme un GPS spécialisé.» Le développement d’une application de navigation devient alors un projet de fin d’étude. Puis une entreprise.
Environ 50 000 utilisateurs
«Conscient» que le problème est profond, Arthur Alba souhaite désormais pouvoir continuer à travailler avec les villes au-delà des Jeux, et les accompagner dans leur transition vers une mobilité plus inclusive. «Avec un peu de pédagogie et grâce aux données collectées, on peut notamment aider les villes à identifier les lieux à rendre accessibles en priorité», espère le cofondateur.
En attendant cette «transition», l’entreprise continue de se développer. Car si l’application est désormais présente dans plusieurs endroits en France, elle en est encore à ses balbutiements. «Aujourd’hui, on est présents dans une vingtaine de villes et c’est très bien, mais ça ne suffit pas», lâche Arthur Alba. Pour l’instant, StreetNav compte près de 50 000 utilisateurs mensuels. «Et on a environ 30 000 personnes qui contribuent chaque mois» à répertorier tous les travaux ou escaliers présents dans les rues, précise Arthur Alba, qui espère que ce nombre augmentera. Car les obstacles, eux, sont encore loin d’être tous recensés.
D’ici là, l’entreprise continue de faire des tests auprès d’utilisateurs, pour évaluer la pertinence de ses données. «Ce matin encore, on a fait un test avec Ludivine Munos [ancienne nageuse handisport et responsable de l’accessibilité pour Paris 2024, ndlr], précise le cofondateur. Elle nous expliquait par exemple que l’application lui conseillait des trajets piétons pour des itinéraires courts, alors que pour elle, c’était moins fatigant de faire deux arrêts de bus que de marcher.» Une évaluation continue et qui nécessite, selon Arthur Alba, de «rester humble».