Ce n’est pas un raz-de-marée, peut-être pas encore une lame de fond, mais à coup sûr une tendance. Si les chiffres officiels manquent encore de solidité, de nombreux signaux attestent que la France connaît bien, dix-huit mois après le premier confinement, un début d’exode d’urbain. Il concerne principalement des Franciliens attirés par des villes moyennes ou des territoires ruraux facilement accessibles et dotés d’infrastructures, notamment numériques, adaptées à la révolution en cours du télétravail.
Remontées d’agences immobilières dont les stocks de biens à vendre ont fondu, campagnes de communication dans le métro parisien de collectivités locales désireuses de «vendre» leurs charmes et atouts, offres numériques d’aide à la délocalisation loin de Paris, enquêtes journalistiques (comme celle de Libération aujourd’hui dans la Nièvre) ne laissent pas de place au doute : le Covid et ses confinements ont convaincu de nombreux hyper-urbains qu’une autre vie était possible. Moins speed. Plus aérée. Moins métro-boulot-dodo. La géographie de ces mouvements reste à étudier, mais le littoral, quand il est bien desservi par les transports (autoroutes ou TGV) semble tirer davantage son épingle du jeu.
Dans quelle mesure le phénomène va-t-il redessiner certains équilibres de la carte de France ? Trop tôt pour le dire. Mais certains déserts français se prennent à rêver de rouvrir des classes, d’accueillir à nouveau un médecin, de retrouver un peu de dynamisme économique. La sociologie de cette population est en revanche plus évidente à appréhender : il s’agit essentiellement de ménages issus des classes supérieures favorisées, voire de classes moyennes supérieures qui profitent de leur pouvoir d’achat et de leur possibilité de télétravailler facilement pour franchir le pas. L’urbaniste que nous avons interrogé pointe d’ailleurs le risque de nouvelles inégalités derrière un mouvement dont les salariés de deuxième ligne «assignés à résidence» (caissières, éboueurs…) seront exclus. Cette dynamique, dans ses aspects positifs ou inquiétants, raconte en creux un réaménagement − même partiel − du territoire, de nouveaux équilibres entre vie professionnelle et vie personnelle ou le souci de l’environnement dans les choix individuels de vie. Elle devrait davantage nourrir la campagne présidentielle que les obsessions identitaires très rances qui monopolisent le débat politique.