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Libération
Hommage

Vingt-six ans après, une avenue marseillaise pour Ibrahim Ali

L’endroit, dans le 15e arrondissement de Marseille, où le jeune homme d’origine comorienne a été tué en 1995 par des colleurs d’affiches du FN porte désormais officiellement son nom.
Dans le 15e arrondissement de Marseille, lors de l'inauguration de l'avenue Ibrahim-Ali ce dimanche. (Patrick Gherdoussi/Libération)
publié le 21 février 2021 à 17h38

Sur Google Maps, la recherche de l’avenue des Aygalades ne mène plus à rien. C’est pourtant là que, depuis un quart de siècle, les proches et voisins d’Ibrahim Ali, tué à 17 ans d’une balle dans le dos par des colleurs d’affiches du Front national le 21 février 1995, se réunissent. Au carrefour avec la rue Le-Chatelier, dans le 15e arrondissement de Marseille, entre un entrepôt Kiloutou, un bar-tabac PMU et une alimentation générale, au cœur des quartiers Nord de Marseille. L’an prochain, ils auront rendez-vous au même endroit mais l’adresse aura changé. Ceux qui portent la mémoire de ce jeune rappeur d’origine comorienne de la cité de la Savine se retrouveront avenue Ibrahim-Ali, un hommage officiel qu’ils n’ont eu de cesse de réclamer à la municipalité d’alors menée par Jean-Claude Gaudin, arrivé à la tête de la ville cette même année 1995. Et qui l’a toujours refusé. Se contentant de faire apposer une plaque commémorative – avec une erreur sur la date de naissance – à un rond-point sur la route de la Savine.

Les quelques centaines de personnes qui se rassemblent, militants de la première heure, et de la dernière en ce dimanche matin, ont encore du mal à y croire. Ils disent encore toute leur rancœur contre l’ancienne majorité à la tête de la ville et saluent la parole tenue par la nouvelle municipalité, désormais menée par le socialiste Benoît Payan. Mais, avant l’intervention officielle du maire, s’avance devant le pupitre Ali, membre des B.Vice, le groupe de rap auquel appartenait Ibrahim Ali, et qui sortait avec lui et quelques autres d’une répétition lorsque l’adolescent a été tué. Il s’adresse à la mère du jeune homme, qui a depuis quitté le quartier, la ville même, et a fait le voyage depuis Nantes : «Tu nous as relevés alors que c’est toi qui avais perdu ton fils», louant sa réaction d’alors, un appel au calme alors que l’embrasement des quartiers menace. Puis c’est au tour de la cousine d’Ibrahim, Fatima Maoulida, de partager ses souvenirs de famille et de condamner «le geste impardonnable et ignoble» : fruit du «fascisme, de la haine, du FN ou du RN, appelez-les comme vous voulez…» Et de regretter que le temps d’une génération ait été nécessaire à cet hommage officiel de la ville.

Un combat «trop long»

Une génération, celle de Benoît Payan qui rappelle à la tribune qu’il a «le même âge» que celui que «ses amis appelaient Chibaco» : «Ce combat pour que la ville reconnaisse et honore un de ses enfants a été long, trop long», poursuit-il, fustigeant «un crime raciste» et invitant «à ne jamais relâcher la vigilance», dans des quartiers où le FN avait fini par l’emporter en 2014, à la mairie des 13e et 14e arrondissements (il en a été délogé en juin dernier), à quelques centaines de mètres à peine du carrefour où passe désormais l’avenue Ibrahim-Ali. Votée en conseil municipal le 8 février dernier, la délibération qui acte le changement de nom de l’artère est hautement symbolique pour la nouvelle municipalité. Cas contact, Samia Ghali, l’élue du secteur et maire-adjointe de Marseille, n’a pas pu assister à l’inauguration de la plaque. On voit son nom sur des tee-shirts blancs que plusieurs participants arborent fièrement : «Foumbouni [la ville des Comores dont est originaire la famille d’Ibrahim Ali, ndlr] remercie Samia Ghali et Benoît Payan», peut-on y lire. «Nous n’avons fait que notre devoir, rien de plus», conclut, en écho à ce message venu de la côte est de l’Afrique, le maire.

Après une minute de silence, la plaque de l’avenue est enfin dévoilée. Une Marseillaise impromptue s’échappe de la foule. Tee-shirt noir barré d’un panneau bleu au nouveau nom de l’avenue, c’est maintenant Soly, qui s’avance au pupitre. Membre lui aussi des B.Vice et figure de la cité de la Savine, il mène le combat pour cette avenue avec détermination depuis vingt-six ans. Visiblement très ému, comme tous ceux qui sont là tous les ans, il a du mal à lire le slam qu’il écrit chaque année pour son ami Ibrahim. Comme le combat d’une vie, qui s’achève, mais qui n’en finit pas : «Nous avons peut-être une rue au nom d’Ibrahim Ali», mais à la télé, sur les murs à Marseille comme ailleurs, ou dans les urnes, «les idées du FN ont toujours un boulevard».