La mer Tyrrhénienne abrite quelques trésors cachés. Des îlots en quantité suffisante pour se laisser dériver jusqu'à s'y échouer en bateau, un peu comme Ulysse lors de son Odyssée. Ponza, située à une trentaine de milles au large de Formia, une ville balnéaire située entre Rome et Naples, représente une de ces destinations étranges. Tel un gros caillou, résidu d'une éruption volcanique survenue il y a deux millions d'années, elle se dresse au beau milieu de l'archipel pontin formé de cinq autres îles (Palmarola, Zannone, Gavi, Ventotene et Santo Stefano). Selon la légende, c'est à Ponza que naquit Circé. La magicienne y exerçait son pouvoir extraordinaire et devant la beauté sauvage du site, Ulysse fut conquis. On comprend mieux pourquoi il mit des années à retrouver la volonté de repartir vers Ithaque. Selon Homère, un fils naquit de leur union, Latinos, qui, dit-on, a donné son nom à la langue. Le poète grec cite également dans le Xe chant le nom de Eea, première appellation de l'île et référence à l'aurore. Elle prendra ensuite, au premier siècle après J.-C., le nom de Pontia en l'honneur du gouverneur de Judée, Ponce Pilate. Puis finalement Ponza.
Grottes et tunnel
Il y a deux mille ans déjà, l'aristocratie de Rome s'était emparée de ces terres de villégiature, y bâtissant, entre autres, deux aqueducs destinés à alimenter en eau une villa romaine dont on aperçoit encore les ruines sur la partie nord de l'île. Sa côte déchiquetée, ciselée de rochers et de falaises que le vent dominant et la violence des vagues ont sculptée au fil des siècles, regorge de grottes. Les Romains les avaient aménagées en lieux de baignade. Ainsi la «Grotte de Tibère» fait penser à la «Grotta Azzurra» à Capri, à cette différence près : son entrée est assez haute pour qu'un bateau y pénètre (celle de Capri ne fait que 50 cm). Le littoral compte d'ailleurs une bonne dizaine de ces cavités accessibles uniquement par mer. Celle où vivait Circé se trouve sur la côte ouest. Celle d'Ulysse près du port.
Les nobles romains y avaient fait construire un tunnel qui permet toujours (les jours sans vent d'ouest) de relier l'autre côte et la plage de Chiaia di Luna (Clair de Lune). Après environ deux cents mètres, dans une galerie étroite consolidée de petites briques, on retrouve la lumière du soleil couchant. Face à la mer, parfois déchaînée, on est alors dos à une falaise d'une cinquantaine de mètres de haut. Peu rassurant lorsqu'on réalise que sa roche friable provoque régulièrement des chutes de pierres. Cette plage est la plus grande de l'île avec ses 400 mètres de large. Elle ne laisse pourtant qu'une dizaine de mètres pour y poser sa serviette. Celle du Frontone près de Santa Maria est, elle, plus prisée. De nombreux bateaux y font d'ailleurs la navette toute la journée.
Ponza a été le théâtre de bien des conquêtes. Les Phéniciens, les Etrusques, les Aurunci (un peuple qui vivait au sud de la Péninsule à l'âge de bronze), les Grecs puis les Romains prirent possession de ce territoire d'une dizaine de kilomètres de long. Au XVIIIe siècle, les Bourbons y reconstruisirent le port avec sa promenade à deux niveaux, pratiquement sur les fondations de celui que les Romains avaient édifié, recouvrant entre autre la nécropole. Aujourd'hui, le cimetière baroque se dresse au bout d'un cap sauvage situé à dix minutes à pied du seul l'embarcadère de l'île. Ponza passa en 1813 aux mains des Anglais puis fut avalée par le Royaume des Deux Sicile avant de rejoindre l'Italie à l'occasion de la victoire de Garibaldi en 1861. Le régime fasciste en fit un temps le lieu d'exil de ses opposants. Mussolini y fut à son tour emprisonné en 1943.
Villas et plantes grasses
Ponza est très vallonnée, toute en longueur et compte de nombreux hameaux. Guarini, Giancos, I Conti et Santa Maria dans la partie sud, puis le Forna et Campo Inglese au nord. Les îles de Zannone et de Palmarola sont également administrées par le maire de droite, Pompeo Porzio, que son opposition accuse de mieux servir les intérêts des nouveaux propriétaires que ceux des résidents permanents. Le port représente la seule grosse agglomération, l'autre étant «Le Forna» où se trouve aussi une église. On y rencontre un peu tous les styles de la Méditerranée. Les villas blanches plantées sur l'eau bleu marine nous transportent en Grèce. Les chemins escarpés bordés de figuiers de barbarie et de plantes grasses rappellent la côte Nord de la Sardaigne. Le centre bourg regorge de sentiers aussi fleuris que ceux de Procida ou de Capri, un peu plus au sud. La partie la plus étroite de ce caillou ne fait que 200 mètres entre Cala Inferno et Cala Cantina, dans le hameau des Forna.
Cette partie nord est la plus sauvage et la plus authentique. Les déplacements s'y font à pied, souvent sur de petites routes cimentées qui se transforment en torrents lorsque le temps vire à la pluie. Les chemins sont escarpés et il faut parfois descendre plusieurs centaines de marches pour atteindre la mer. C'est le cas pour rejoindre les piscine naturali, sites très prisés du nord de l'île. Mais dans le climat torride des mois d'été, marcher devient vite un calvaire. Une ligne de bus, assez régulière jusque tard le soir, permet néanmoins de se rendre d'un endroit à un autre. L'île ne compte qu'une route qui se dédouble dans la partie haute surplombant le port. Une voie panoramique très spectaculaire qui permet d'apercevoir un peu l'autre versant.
Procession et oeillets
Mais le meilleur moyen d'admirer la diversité des côtes reste encore la barque par les jours sans vent. Que ce soit du port même de Ponza ou bien de Cala Feola aux Forna, les pêcheurs ont trouvé largement de quoi se recycler l'été, lorsque la population de l'île passe de 3 000 habitants à près de 25 000. «Le tourisme a vraiment commencé en 1952, raconte Erasmo, un restaurateur de Sant'Antonio. Il n'y avait à l'époque que des étrangers. Aujourd'hui, c'est différent.» Romains et Napolitains se sont emparés de ce bout terre, achetant et retapant les vieilles bâtisses. Ce qui n'est pas sans poser des problèmes compte tenu de la rivalité entre les deux villes. «Les Romains voudraient que Ponza, qui appartient actuellement à la province de Latina, dépende de celle de Rome, rappelle Achille, loueur de barques aux Forna. C'est n'importe quoi. Ce n'est pas parce qu'ils sont arrivés avec leur argent qu'ils vont nous acheter notre identité. Je suis né à l'hôpital de Formia [le port qui dessert l'île par tous les temps chaque jour de l'année, ndlr], je parle avec un accent napolitain et nous portons les noms que nous ont donnés nos ancêtres de Torre del Greco [ville située au pied de Pompéi]. Ce n'est pas demain que nous allons devenir romains !»
A Ponza, on s'accroche aux traditions et l'on continue à fêter le Saint Patron local : San Silverio dei Pescatori, un prénom très courant dans l'archipel. Le 20 juin, l'île organise une double procession sur terre et sur eau. San Silverio est placé dans une barque pleine d'oeillets rouges qui défile dans les rues, portée par les mêmes hommes chaque année. «Un Ponzese ne peut pas manquer la San Silverio, explique Mario, un habitant du nord de l'île. Même ceux qui ont émigré en Argentine, à New York ou au Canada reproduisent la San Silverio.» La procession se termine par un feu d'artifice et la dispersion des centaines d'oeillets. Un endroit qui dévoile tous ses trésors lorsqu'il retrouve sa quiétude, loin de la foule de l'été.