Si l’on était une ogresse, on s’allongerait de tout son long sur les collines et les vallons qui forment la Sicile. On poserait la joue, le ventre et la paume de la main sur ces terres chaudes de soleil et blondies par les blés, et l’on se nourrirait d’oliviers, de vignes et d’amandiers car peut-être, dans une autre vie, serait-on végétarienne.
Mais il faut bien se résoudre à ne mesurer qu'un peu plus d'un mètre soixante, et se contenter de marcher ou rouler d'une région à l'autre sans en négliger aucune car c'est là que réside le charme fou de cette île immense : on y croise, d'est en ouest et du nord au sud, toutes les couleurs, toutes les saveurs de la Méditerranée, jusqu'au couscous de poissons, ce cuscus di pesce à déguster sur la côte ouest, face à la Tunisie, à Mazara del Vallo, près d'une petite gare blanche et jaune aux couleurs des arènes de Séville.
Bizarrement, c'est le rouge qui reste le plus longtemps collé à la rétine, le rouge des entrailles de poissons vidés par seaux entiers sur les pavés de la place du marché de Catane, à l'heure où les têtes de crevettes viennent chatouiller les yeux des calamars. Catane, ville magique comparée à la banalité de ces soi-disant lieux de fantasme que sont Taormina et Syracuse. Catane, étrange croisement de Berlin et Naples, cité massive et puissante adoucie par la mer, qui a vu naître Goliarda Sapienza, auteure de l'Art de la joie, sublime roman-fleuve à l'écriture charnelle et jubilatoire, ce n'est sans dout