Pour commencer, tu prendras de la hauteur : c’est ce qui sied pour aborder cette ville à damier se déployant entre mer et montagne. Et, pour te trouver, il te faudra tout d’abord te perdre.
Alors, je t'emmène tout là-haut, au-delà même de la Ronda de Dalt, ce périphérique barcelonais qui sépare aussi la ville de sa partie la moins connue, souvent la plus étonnante. Tu rejoindras le parc d'Hortà, ce quartier où les amoureux de leur cité ont trouvé refuge pour échapper aux hordes touristiques ; une fois arrivé, tu te perdras entre les fontaines néoclassiques, les bosquets et les pavillons à l'italienne dessinés par ce fantasque marquis Desvalls i D'Ardena qui était son propriétaire au XVIIIe siècle ; puis tu monteras sans peur sur les hauteurs jusqu'à parvenir à un labyrinthe de cyprès taillés annoncé par des statues mythologiques. Il te faudra bien du talent pour rejoindre en son sein la statue d'Eros, objet véritable de ce dédale initiatique et préambule à une aventure sentimentale dans Barcelone.
Ruelles. Tu vas redescendre, certes, pour vite remonter. Car cette ville, il faut la contempler pour en prendre toute la mesure. Non loin de là, le souffle entrecoupé, tu grimperas par les venelles permettant d'accéder aux belvédères de la colline du Carmel, ce quartier où sont agrippées les maisons précaires des immigrés «espagnols» arrivés dans les années 60 pour participer aux grands chantiers catalans. Tu goûteras le charme un peu désuet de ces ruelles qui confluent vers un promontoire offrant une des plus belles vues sur Barcelone.
Tu redoubleras d’efforts pour grimper aussi au sommet du Guinardo, autre quartier populaire qui sent encore la ville du siècle dernier. Bars typiques, gouaille des voix dans les rues, restes de la guerre civile ayant opposé franquistes et républicains : tu aimeras y flâner.
Il est temps de retrouver les «bas quartiers», à commencer par le Raval, qui fut, dans les années 80, une zone envahie par les dealers, les junkies et où la police osait à peine s’aventurer. Aujourd’hui, à dix minutes à pied des fameuses Ramblas, celles homonymes du Raval ont su améliorer un quartier sans toutefois lui faire perdre son cachet. Avec sa forme elliptique, ses grands palmiers et sa promenade majestueuse, la Rambla du Raval te séduira immédiatement. Les vieux du quartier y discutent le bout de gras avec une théâtralité à la Raimu, les visiteurs s’y font photographier derrière le grand chat noir du sculpteur colombien Fernando Botero, les résidents pakistanais s’y retrouvent en groupe pour profiter de cet îlot spacieux en plein quartier à l’asphyxiante densité.
Au beau milieu, un cinq étoiles aux allures futuristes regarde un des squats les plus populaires de la ville : tu ne demeureras pas indifférent à la mixité paradoxale du Raval. Encore moins lorsque, à deux pas de là, tu t’attableras à la très boboïsante terrasse de la Filmothèque, entourée par des immeubles insalubres et le manège de prostituées africaines.
Mû par l’envie de découvrir un autre fascinant recoin, tu déboucheras devant l’hôpital San Pau, dans le nord-est de la ville. Tu sentiras que le génial architecte Lluis Domènech i Montaner (1850-1920) a voulu créer un espace propre, différent, cohérent. Cet ancien grand ensemble hospitalier (aujourd’hui, seule une partie est toujours un centre de soins, le reste est ouvert aux visites) est composé de pavillons modernistes en brique aux décors floraux, aux étincelantes céramiques polychromes.
Tu te demanderas comment un ensemble aussi élaboré, comment un tel hymne à la vie, pût être exclusivement consacré à soigner. Il est vrai que, désormais, profitant de la beauté ensorcelante du lieu, autorités municipales ou initiatives privées y organisent des foires, des défilés de mode, des congrès de toutes sortes. Au sortir de San Pau, tu emprunteras la voie piétonnière en diagonale où tu te restaureras avec délectation au restaurant coréen Séoul, sur ta gauche.
Fascination. Tu es sur le chemin de la Sagrada Familia, la cathédrale hors-norme dessinée et bâtie par Gaudi. Là où, cent ans après la mort du maître, le projet interrompu a été parachevé de manière grandiose et, pour les moins enthousiastes, grandiloquentes : nef à 45 mètres de hauteur pour accueillir des puits de lumière, grappes de fruits en éclats de céramique, colonnes de granit et de basalte pour soutenir un édifice de 4 500 mètres carrés, tours multicolores surmontant la façade de la Nativité. Tu ne sauras pas si tu aimes, mais tu seras fasciné à coup sûr.
Tu ne quitteras pas cette ville avant d'avoir arpenté le barrio gotico, qui fut l'antre de Manu Chao. Tu aimeras la force hiératique de la basilique Santa-Maria-del-Pi, le recueillement de la place de Sant-Felip-Neri, les boutiques de design et les bars conviviaux du Born, ainsi que le caractère spectaculaire des fouilles de son «mercat» (marché) ayant exhumé des restes de la Barcelone bombardée en 1714 par les troupes franco-espagnoles.
En te promenant sous une enfilade de passerelles métalliques, tu regarderas les murs des demeures arasées, penseras aux 100 000 projectiles tombés sur la ville, et te diras que Barcelone a su renaître de ses cendres avec brio.
Et aussi conserver son âme, comme tu pourras le constater en parcourant les rues strictement perpendiculaires de la Barceloneta, avec ses airs napolitains, le linge qui pend aux fenêtres, les restaurants de fruits de mer, ainsi que son ouverture sur la vaste plage et l’hédonisme ardent qui s’empare d’elle dès que le soleil le permet et auquel tu ne pourras pas échapper.