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Tanzanie

Stone Town quartier maître de Zanzibar

Sous le soleil exactementdossier
L’architecture de la vieille ville a gardé le souvenir des colons portugais, britanniques et surtout omanais, qui avaient fait de la cité leur capitale en 1840 et ont laissé derrière eux cet alliage légendaire d’Afrique et d’Orient.
(Jorge Cancela / Flickr)
publié le 14 août 2015 à 19h46
(mis à jour le 23 septembre 2016 à 17h02)

Le soleil couchant jette un voile de lumière sur les remparts du fort de Zanzibar. Des croassements de corbeaux. Quelques boutres en bois ventrus fendent les vagues pour emmener les touristes admirer le crépuscule sur l'océan Indien. Au début du premier millénaire, des embarcations piquées de la même toile claire croisaient déjà sur les côtes de l'Afrique de l'Est. Portés par les alizés, des navires marchands arabes, perses et indiens appareillaient d'Orient chargés de perles et de textiles. Ils quittaient l'Afrique quelques mois plus tard, les cales bourrées d'or, d'ivoire et d'esclaves. Le commerce fit la fortune de Zanzibar. Il malmena aussi sa souveraineté, avec dans son sillage des colons portugais, britanniques et surtout omanais. A quarante kilomètres au large de la Tanzanie, l'archipel de Zanzibar évoque toujours une légende, à la croisée de Sindbad le marin et des Mille et Une Nuits. Promenade dans la vieille ville de Stone Town.

1 Des palais de corail

Dans les étroites ruelles blanches, les hommes en tunique claire sont coiffés d'une calotte brodée. Les femmes, drapées dans des étoffes colorées, échappent au regard derrière de monumentales portes en bois sculpté. «Je m'inspire des motifs taillés dans l'ébène. Des fleurs de lotus, des oiseaux, des figures maritimes. Avec les linteaux, de forme rectangulaire ou arrondie, ils traduisent une influence africaine, arabe ou indienne», explique Farouque Abdela, un créateur de mode subjugué par la richesse artistique de son île et guide érudit de notre itinérance dans la ville.

La porte, et son foisonnement d'ornements, est un marqueur social. L'entrée d'anciens palais de marchands fortunés, en pierre de corail. Ceux des négociants indiens, avec leurs balcons en bois dentelés de fins moucharabiehs (panneaux de bois finement découpés) pour saisir la brise marine. Avec quelque 2 000 bâtiments historiques, majoritairement du XIXe siècle, Stone Town figure au patrimoine mondial de l'Unesco. C'est loin d'être un gage de conservation. Aujourd'hui, les portes s'entrouvrent parfois sur le patio d'un hôtel ou d'une maison privée raffinés. Plus souvent, sur des cours ou des intérieurs délabrés, où cohabitent plusieurs familles, quelques poules et des chats errants.

2 La maison des Merveilles du sultan Bargash

L'ancienne grandeur de Stone Town frappe davantage sur le front de mer. Les Omanais qui arrachèrent Zanzibar aux Portugais en 1698 établirent ici une colonie florissante, intensifiant la traite négrière, avant d'en faire la capitale d'Oman en 1840. Un insolent édifice de trois niveaux, transpercé de fines colonnes de fer supportant de larges terrasses rivées vers le large, est là pour le rappeler. Soucieux d'apparat, le sultan Bargash fit édifier en 1883 Beit-el-Ajaib, «la maison des Merveilles», pour accueillir des réceptions dans de vastes salles distribuées autour d'un atrium central. «Un lieu somptueux, premier bâtiment d'Afrique de l'Est doté de l'électricité et d'un ascenseur, mais insuffisamment valorisé et entretenu», déplore Farouque Abdela, qui a dû fermer sa boutique installée au rez-de-chaussée après l'effondrement d'une terrasse arrière en 2012.

Une salle du musée de l’Histoire et de la Culture de Zanzibar, hébergé dans l’édifice, reste encore ouverte au public. Elle ressemble à un cabinet de curiosités, entre les photographies couleur sépia et une carte des routes caravanières. Les marchands de Zanzibar envoyaient des expéditions ratisser les terres africaines à la recherche d’esclaves et d’ivoire, autour et au-delà des lacs Victoria et Tanganyika.

3 L’emplacement de l’ancien marché aux esclaves

Il ne reste rien, aujourd’hui, du théâtre du plus sinistre commerce de Zanzibar. Derrière une avenue bruyante à deux voies, à la lisière entre la vieille ville et les quartiers plus modernes, une cathédrale érigée en 1873 est venue exorciser le lieu maudit. Près de 40 000 esclaves par an transitèrent pourtant ici, au plus fort de la traite négrière, dans les années 1840, avant d’être acheminés vers l’Arabie et la Perse. Des marchands s’avisèrent aussi de les exploiter sur place pour développer des plantations d’épices, girofliers en tête, et s’ouvrir à un commerce très lucratif.

4 Les toits de Zanzibar

Retour dans les venelles de Stone Town. Sur une petite place, des hommes sirotent leur café dans de petites coupelles en faïence. A l'écart, les femmes brodent des kofias, la calotte brodée locale. Au crépuscule, Farouque Abdela entraînera ses visiteurs sur le toit-terrasse de l'hôtel Emerson on Hurumzi, où la silhouette de la maison des Merveilles se découpe sur l'horizon. «Les Omanais sont de retour, commente Farouque. Ils vont financer les travaux de rénovation de ce bâtiment qui symbolise leur grandeur.» Après des affrontements sanglants et leur expulsion en 1964, au moment de la révolution, les anciens maîtres arabes sont plutôt bien accueillis. «Ils ont de l'argent», résume Farouque, philosophe. Dans un décor de toits en tôles gondolées ou crevées s'installe un groupe de musiciens et une chanteuse. Avec des percussions et des instruments à cordes, ils font résonner dans la nuit étoilée le taarab, sorte de concours de chant improvisé, morceau vivant de la culture swahilie, fusion de l'Afrique et de l'Orient.

Reportage réalisé avec le concours d’Ethiopian Airlines et de Tanganyika Expeditions.