Jeriquoirara ? Non, Jerricocoa. A moins que ce ne soit… Bref, «Jeri» revient en boucle dans la bouche de tous les routards cherchant le paradis sur Terre. Petit village de pêcheurs dans les années 80, comme il en existe encore des milliers le long de la côte du Nordeste brésilien, Jericoacoara (son vrai nom) est devenu une station touristique encore éloignée de tout (1) mais de plus en plus en vogue, où se côtoient saisonniers, touristes brésiliens relax, hipsters européens ou routards sud-américains attirés par la réunion de trois facteurs : une mer de sable couleur crème, un océan dans lequel vient mourir le soleil et un vent au souffle presque continu.
Le parcours du combattant
Pour atteindre ce «paradis», il faut passer par un chemin de croix qui préserve encore la ville d’une déferlante de badauds. De Fortaleza, à 300 kilomètres à l’est, un car vous traîne à 30 km/h de moyenne. Peace. Et ce, sous les 12 degrés crachés par la climatisation. Cool. Arrivé à Jijoca, la ville la plus proche de «Jeri», il faut penser à retirer des liasses de reals. Car quarante minutes de bus plus loin, la vie aura oublié l’existence des distributeurs. En partance de Jijoca, on est assis dans un car, style safari, sans vitres. Le nôtre est bleu et tombe en panne. Mais le chauffeur nous gratifie d’un fameux pouce en l’air, le «hakuna matata» brésilien. Le tape-cul repart une heure plus tard pour traverser des paysages lunaires, au milieu de dunes à perte de vue. On voit défiler de beaux ânes et des petits troupeaux de surfeurs. Ici, il n’y a même pas un chemin de terre, simplement du sable et des nids de poule. Et ce jusqu’au cœur de Jeri. Il faut dire que la localité se situe sur le littoral d’un parc national (depuis 2002), interdisant toute construction de route en dur.
Le centre-ville
Tendons l'oreille lorsque les voitures roulent sur le sable fin, et non sur le bitume. Le silence, ou presque. D'ailleurs, il y a peu de véhicules : seuls ceux des riverains sont autorisés, les autres doivent être rangés sur un parking à l'entrée de la ville. Dans le centre-ville, circulent également, en toute liberté, des chats, des chiens, mais aussi un âne qui passe entre les terrasses de café ou renifle les poubelles. Personne ne s'en émeut, et c'est tant mieux. Les ruelles centrales sont bordées de maisonnettes colorées. La plupart sont des pousadas : des chambres d'hôtes, petit-déjeuner et hamac compris. A première vue, on remarque aussi quelques Argentins aux grosses dreadlocks. A l'inverse du lieu commun, ce ne sont pas eux qui «profitent» : ils turbinent à vendre des bijoux et bracelets. Jusqu'à l'océan, ils forment une joyeuse haie d'honneur, ne s'interdisant pas quelques morceaux à la guitare.
La plage
Dès 9 heures du matin, les barracas, sortes de foodtrucks des tropiques où l'on achète des caïpirinhas et tous leurs dérivés bon marché, s'installent sur le sable mouillé, là où la mer s'est retirée, à côté des bateaux de pêcheurs échoués. Devant, des corps dénudés, sous parasol, se lèvent de temps à autre pour se baigner quand ils ne trempent pas leurs lèvres dans un cocktail. Il y a ici les immanquables fessiers en string, preuve irréfutable de l'identité brésilienne des vacanciers.
Surplombant la plage côté gauche, l’immense dune de sable de Pôr do Sol a un aspect immaculé. En fin d’après-midi, la transhumance commence pour y admirer le coucher de soleil. D’autres préfèrent les bars de surfeurs à l’opposé de la plage. Les curieux peuvent pousser plus loin, jusqu’à la Pedra Furada, espèce de grande arche naturelle, dans des paysages de fin (ou de début) du monde, avec le sable qui vole au vent sur un horizon océanique épuré. En revenant, l’école de capoeira du coin se donne en spectacle près de l’eau : un cercle tracé au sol, trois instruments à corde et des chants pour enrober les combattants-danseurs.
Sur la plage de Jericoacoara. Photo Philippe Turpin. Photononstop
La «lagune du paradis»
Jericoacoara est un haut-lieu du kitesurf et de la planche à voile. Beaucoup d'Européens se retrouvent ici, louant des grandes cabanes en bord de mer, notamment près de Prea. Toute la journée, ils sont dans l'eau, tirés par la voile. Daniele, grand amateur polonais de kitesurf, venu en voyage de noces : «Ici, les cours sont individuels et pas chers, ce qui rend l'apprentissage beaucoup plus simple qu'en Europe.» D'autres préfèrent les tours en buggys, ces tout-terrains omniprésents qui permettent de découvrir le parc national. Il faut rejoindre la Lagoa do Paraíso, la lagune du paradis, à une trentaine de minutes de là : ses hamacs à mi-hauteur entre deux bouts de bois trempent dans une eau turquoise transparente. L'affiche que vous détestez adorer dans le métro quand vous allez au boulot.
Les bars et terrasses
La nuit tombée, Jeri décline Bob Marley à toutes les terrasses. A tel point qu'on ne trouve plus cela aussi «cool» au bout de quelques jours. Au centre-ville, l'inévitable café Samba Rock et ses gringos («étrangers») est une grosse reggae machine. Un peu plus loin, les dizaines de restaurants proposent presque tous un artiste voix-guitare, qui jouera évidemment du Bob Marley, en plus des héros nationaux Gilberto Gil et Seu Jorge. Les magasins restent ouverts tard et l'ambiance monte en température après le dîner. Chacun son tour, c'est un des bars principaux qui est mis à l'honneur, point de rencontres et de fête pour la soirée.
Sur la plage de Jericoacoara. Photo Getty
A la nuit tombée, l’odeur de fête se fait plus présente aussi dans l’allée centrale, au milieu de la quinzaine de barracas. Les filles sont apprêtées-décontractées et les garçons en short et tee-shirt. Point commun : ils sont principalement blancs, ce qui donne une idée d’un niveau social élevé. On danse la samba en se disant que, si loin de tout, tout est possible. Le meilleur et parfois le pire. Jouissant longtemps d’une image de station exemptée de criminalité, Jericoacoara est rattrapé par les démons du Brésil. Récemment, une disparition, une agression sexuelle et un meurtre ont fait monter la psychose qui traverse durablement les grands centres urbains brésiliens.
Les fêtes de Jeri se terminent au petit matin, parfois après des «soirées blanches» d’inspiration tropézienne, autre signe de normalisation de cette oasis sans pareille.
(1) Un aéroport ouvrira à proximité mi-2016, signant probablement la fin d'une ère «roots».